Climat de défiance croissant
Depuis
l’affaire Merah, Lila Citar estime que la situation a empiré pour les femmes voilées. La période pré-électorale où la police les interpelle "pour faire du chiffre" n’arrange pas les choses : "On nous traque dans la rue comme de dangereux criminels (…). Parfois, jusqu’à 12 policiers sont mobilisés pour une seule femme qui amène ses enfants à l’école. Mais pendant ce temps, les vrais terroristes, les vrais délinquants, les vrais criminels peuvent agir en toute impunité".
"Nous ne pouvons plus sortir de chez nous, on n’a plus accès aux lieux de culture, aux soins, aux magasins. Certaines ne peuvent plus travailler. Moi, citoyenne française, je ne vais pas pouvoir aller voter !", s’étrangle Lila Citar, qui déplore également l’explosion des agressions au nom de la loi et le climat latent de délation en France : "On se fait cracher dessus, insulter dans la rue. On est même dénoncée par des citoyens qui appellent la police jusqu’à cinq fois de suite pour qu’on vienne nous arrêter".
Une mesure inefficace
"Tous les musulmans se sont sentis concernés et ils ont très mal pris le fait qu’une loi vise spécifiquement les musulmans. Du coup, ils ont été nombreux à se radicaliser", estime la sociologue qui travaille sur la question depuis 2008.
"On voit moins les femmes voilées dans les rues parce qu’elles restent chez elles. Mais ce n’est pas pour ça qu’elles sont moins nombreuses. Au contraire, il y a une démarche de résistance, de transgression. Beaucoup disent même que la polémique les a convaincus de porter le voile", poursuit-elle.
Selon Rachid Nekkaz, seules 28 % des femmes ont enlevé leur voile "par peur" après la mise en application de la loi. Mais depuis
le procès de Meaux, le 22 septembre 2011, où, pour la première fois, deux femmes ont été condamnées pour avoir porté le voile sur la voie publique, Nekkaz estime que 18 % de musulmanes se sont voilées pour la première fois.
Sous le voile, les fantasmes
La sociologue Agnès de Féo balaie enfin l’idée d’une loi qui protégerait des femmes soumises, forcées par un tiers - mari, frère, père, imam - à porter le voile. La centaine de femmes qu’elle a pu rencontrer depuis 2008 étaient au contraire émancipées, à plus de 50 % célibataires ou divorcées, souvent très jeunes et pour beaucoup converties.
"Pour celles qui sont mariées, ce sont des femmes de poigne, absolument pas soumises. Les hommes sont même souvent contre le port du voile intégral car il y a un fantasme fortement ancré sur le physique de celles qui le portent. Il y a cette croyance que seules les femmes très belles se voilent pour cacher leur beauté…", analyse Agnès de Féo.
"Aucun homme n'a été mis en cause pour avoir forcé sa compagne à porter le voile", confirme Rachid Nekkaz.
Lila Citar et les quelque 350 membres de son association ont choisi de cacher leur visage par engagement spirituel ou, pour
certaines, par provocation. Aujourd’hui, plus que tout, Lila revendique son libre arbitre : "Le seul avantage de cette loi est peut-être d’avoir montré que nous ne sommes pas des femmes soumises. Pour nous, porter le voile est un combat féministe". Le "deuxième sexe" qui se bat pour le droit de se dérober aux yeux du monde... Une vision qui met à mal l'héritage de Simone de Beauvoir qui, toute sa vie, a défendu l'universalisme du féminisme.