logo

Guerre en Ukraine : une méga-attaque russe de 2 000 drones kamikazes est "parfaitement réaliste"
Signe d'une capacité de production en forte hausse, Moscou a intensifié ses attaques de drones kamikazes sur le territoire ukrainien depuis le début de l'année. Selon certains experts, la Russie pourrait même être en mesure de lancer une salve de 2 000 engins en une seule nuit dès l'automne prochain. Une méga-attaque susceptible de submerger les défenses antiaériennes de Kiev, qui se voit une nouvelle fois contraint de s'adapter.
Un drone russe lors d'une attaque aérienne sur Kiev, en Ukraine, le 17 juin 2025. © Efrem Lukatsky, AP

La machine de guerre russe atteint son rythme de croisière. En Ukraine, les attaques nocturnes mobilisant 300, 400, voire 500 drones sont devenues monnaie courante depuis la fin juin. Entre le 8 et le 9 juillet, la Russie a même lancé sa plus grande attaque aérienne depuis le début de l'invasion de l'Ukraine en février 2022, avec 741 drones et missiles lancés contre le territoire ukrainien.

Rien qu'en juin, Moscou a lancé plus de 5 400 drones contre son adversaire, contre 3 974 en mai. Un record. Face à cette débauche de moyens, à des tactiques d'essaimage de mieux en mieux rôdées et à des drones russes capables de voler à plus haute altitude, les défenses antiaériennes ukrainiennes ne savent plus où donner de la tête.

Sans surprise, le taux de réussite de ces attaques massives grimpe en flèche, rapporte le Financial Times, qui s'appuie sur des statistiques de l'armée de l'air ukrainienne. Selon cette source, environ 15 % des drones russes ont pénétré les défenses en moyenne entre avril et juin, contre seulement 5 % au cours des trois mois précédents.

"Avec le temps, les Russes cartographient de mieux en mieux les défenses antiaériennes ukrainiennes et leurs salves sont de plus en plus sophistiquées en combinant le nombre, la vitesse, l'altitude et les différentes trajectoires. C'est comme un grand ballet", décrit le consultant Marc Chassillan. "Les diversions jouent aussi un rôle crucial, avec des drones qui ne servent qu'à occuper les radars adverses et faire consommer les missiles adverses", ajoute l'expert des questions de défense.

Cette nouvelle efficacité russe s'explique également par l'utilisation de drones plus performants, notamment des versions remaniées du Shahed-136, le drone-suicide low-cost longue distance, pilier de l'arsenal de Moscou. Des améliorations qui vont du blindage à l'embarquement de sous-munitions pour faire un maximum de dégâts, en passant par l'ajout d'un moteur à réaction pour augmenter la vitesse.

Si l’Ukraine a longtemps pu compter sur des groupes de soldats mobiles équipés de mitrailleuses antiaériennes et de systèmes de détection, les nouvelles capacités de vol des drones kamikazes russes les rendent beaucoup plus difficiles à abattre par des tirs directs.

D'abord livré par l'Iran, le Shahed-136 est désormais produit en Russie sous le nom de Geran-2. Une version améliorée est également utilisée depuis quelques mois. Plus massif et plus cher, le Geran-3 se déplace à plus de 550  m/h, contre seulement 150 km/h pour son prédécesseur.

"Ce drone va être une cible plus furtive qui pourra passer au-dessus des moyens de défense antiaérienne de manière beaucoup plus rapide. Donc la prise en charge va être plus longue, dans la mesure où il faudra considérablement anticiper la trajectoire pour essayer de l'intercepter", détaille Marc Chassillan.

Saper le moral de la population civile

Ces avancées technologiques s'accompagnent d'une nette montée en puissance de la production de drones. Au cœur du réacteur : l'usine de Ielabouga dans le Tatarstan, région centrale de la Russie située à 1 000 kilomètres à l’est de Moscou. Dimanche, le Kremlin a décidé d'en faire un élément de sa propagande en dévoilant des images de cette immense installation dont l'importance stratégique n'a cessé de croître avec la "dronisation" de la guerre en Ukraine.

Pour afficher ce contenu Bluesky, il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

"Ceci est la plus grande usine au monde de production de véhicules aériens de combat sans pilote, et la plus secrète", déclare à la caméra Timour Chaguivaleïev, le directeur de l'usine, lui-même sous sanctions américaines. Ce dernier assure qu'elle produit neuf fois plus de drones que prévu initialement, pour soutenir l'intensification récente des frappes menées contre l'Ukraine.

En avril, des images satellites analysées par des experts de l'Institut international d'études stratégiques ont montré que la superficie des installations de production de Shahed avait doublé depuis 2023.

Vladimir Poutine a fait de l'augmentation de la production de drones une priorité. Ces engins kamikazes sont devenus des atouts essentiels de la stratégie russe visant à frapper les villes ukrainiennes situées loin de la ligne de front et saper le moral de la population civile. Avec à terme, l'espoir de contraindre Kiev à des concessions territoriales.

Selon le renseignement militaire ukrainien (GUR), la Russie peut désormais assembler environ 170 drones de type Shahed par jour, mais prévoit d'augmenter sa capacité quotidienne à 190 drones d'ici à la fin de l'année 2025.

Une production effrénée confirmée par le général allemand Christian Freuding, selon qui la Russie met les bouchées doubles pour augmenter ses capacités. Objectif : pouvoir lancer 2 000 drones simultanément, affirme le chef du centre de situation pour l’Ukraine au ministère allemand de la Défense.

Une analyse partagée par les experts de l’Institute for the Study of War (ISW). Dans un rapport de situation datée du 20 juillet, le cercle de réflexion américain estime que "l’utilisation par la Russie de drones kamikazes dans ses frappes nocturnes a augmenté en moyenne de 31 % par mois entre mai et juillet 2025. [...] Si cette tendance se maintient, la Russie pourrait atteindre jusqu’à 2 000 drones en une seule nuit d’ici novembre 2025."

"Ce chiffre semble parfaitement réaliste", confirme Marc Chassillan. "À partir du moment où on met en place les outils industriels de grande série, tels que ceux utilisés pour des productions civiles d'objets bien plus sophistiqués, comme l'automobile, cela n'a rien d'exceptionnel d'un point de vue industriel."

Adapter la riposte

L'Ukraine, qui avait un temps d'avance technologique au début de l'invasion en 2022, est désormais contrainte de s'adapter à cette armada russe de drones à bas coût. En plus des systèmes de brouillage, l'utilisation de canons antiaériens ou d'avions de chasse F-16, Kiev cherche à développer massivement sa flotte de drones intercepteurs, réservant ses précieux Patriot américains – à 4 millions de dollars l'unité – pour les missiles russes les plus sophistiqués.

"Le président a chargé de développer ce secteur. Nous avons déjà signé quatre contrats publics avec des fabricants. Cette semaine, nous avons également discuté avec de grandes banques publiques du financement des producteurs sous garantie de l’État", a annoncé mercredi le ministre de la Défense Denys Chmyhal.

Au début du mois, l'Ukraine a signé un accord avec la société américaine Swift Beat pour produire des centaines de milliers de drones intercepteurs cette année. La ville de Kiev prévoit aussi d'allouer 5,3 millions d'euros à un programme d'interception de drones afin de renforcer la défense de la capitale ukrainienne contre les attaques russes.

Parmi les solutions avancées par Kiev, le ODIN Win_Hit, un drone de fabrication ukrainienne qui compense sa faible durée de vol (entre 7 et 10 minutes) par sa vitesse de 300 km/h. Capable d'atteindre une altitude de 5 000 mètres, il n'embarque pas de charge explosive mais s'abat sur la cible pour la détruire. Son coût reste toutefois assez élevé : 50 000 dollars, environ deux fois plus cher qu'un drone Shahed-136.

"Nous avons essentiellement besoin de contre-mesures qui coûtent deux, trois ou quatre mille euros", estime de son côté le général Christian Freuding.

"Les drones intercepteurs restent assez onéreux, mais c'est toujours mieux que d'utiliser un missile très courte portée, genre Stinger ou Mistral, qui coûte entre 200 000 et 300 000 euros. Cependant, il est clair qu'il faudra réduire encore le prix de ces drones. Dans l'idéal, le drone intercepteur ne devrait pas coûter plus cher que sa cible", affirme Marc Chassillan. "Encore une fois, on constate que la guerre en Ukraine est avant tout un combat industriel où il faut sans cesse s'adapter. Un combat d'usines et d'ingénieurs, dont on ne voit pas la fin."