FRANCE 24 s’est rendu en Algérie afin de sonder quelques journalistes, travaillant pour les principaux quotidiens francophones, sur la campagne présidentielle dans l'Hexagone. Une période qu'ils suivent avec beaucoup d'attention. Reportage.
Hasard des calendriers électoraux : la présidentielle française connaîtra son dénouement le 6 mai, quatre jours seulement avant les législatives algériennes, qui auront lieu le 10 mai. Ces deux événements ont lieu, en outre, l’année du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, anniversaire d'un épisode historique qui, à ce jour, demeure une source de crispations de part et d’autre de la Méditerranée. Et de leur propre aveu, les journalistes algériens suivent avec autant d’attention les élections dans leur pays que celles qui se tiennent en France. Pas uniquement par conscience professionnelle ou curiosité intellectuelle, mais aussi du fait des liens complexes qui existent entre les deux nations.
Populisme, islamophobie et démagogie
Mais les journalistes rencontrés par FRANCE 24 à Alger restent jusqu’ici déçus par la campagne électorale française. Dans leur ligne de mire : "la stigmatisation de la population d’origine maghrébine". Selon eux, ce sont les idées de l’extrême droite française, "relayées par la droite classique à des fins électoralistes", qui donnent le ton depuis le début de la campagne.
"Sans surprise Marine Le Pen est dans son rôle, c'est-à-dire celui de la provocation et de l’islamophobie, les Algériens espèrent de tout cœur qu’elle ne gagnera pas", note Nabila Amir, journaliste politique au sein de la rédaction
d’El-Watan, le quotidien francophone le plus influent du pays. "Mais il est triste de constater, poursuit-elle, que le président Nicolas Sarkozy emboîte le pas de la candidate frontiste sur certains thèmes pour récupérer certains électeurs du Front national".
Ainsi,
les polémiques qu’ont générées en France des thèmes comme l’identité nationale et la viande halal ont provoqué une onde de choc en Algérie, où elles ont été abondamment commentées, tantôt avec ironie, tantôt avec gravité, par les médias nationaux et la population. "Je suis très déçue par les slogans racistes et islamophobes que j’entends durant cette campagne et qui sont indignes d’un État de droit comme la France, je pense notamment à la polémique sur le halal", déplore Ghania Oukazi, journaliste depuis 12 ans du
Quotidien D’Oran, première publication francophone du pays diffusée à 130 000 exemplaires par jour.
Un avis que partage Hamid Saidani, rencontré au siège flambant neuf
du quotidien "Liberté", qui compte de nombreux lecteurs en Kabylie. "À défaut de proposer des solutions réalistes pour faire face aux problèmes des Français, le ton de la campagne est au populisme, à l’islamophobie et à la démagogie, ce qui entraîne invariablement la stigmatisation des immigrés", juge-t-il.
Fayçal Métaoui (photo principale), employé depuis 22 ans par El-Watan, regrette lui aussi "les répercussions désolantes des gesticulations de l’extrême droite française" qui, selon le journaliste chevronné, polluent la campagne électorale. "Les conséquences sur le débat est l’exploitation de la mémoire de la guerre d’Algérie. On a vu comment les ultras de l’Algérie française sont revenus sur le devant de la scène, argumente-t-il. C’est dommage, car les élections dans les deux pays coïncident avec le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, or c’est le moment idéal pour parler sereinement d’histoire et de réconciliation".
Sarkozy et les relations franco-algériennes
Justement, les différentes prises de position des candidats sur la question des relations franco-algériennes ont été suivies avec grande attention. En reconnaissant officiellement "la responsabilité de la France dans l'abandon et le massacre des harkis", vendredi 9 mars à Nice, puis en déclarant dans le journal Nice Matin que la France ne pouvait pas "se repentir d'avoir conduit" la guerre d'Algérie, Nicolas Sarkozy s’est attiré les foudres des médias algériens qui l’accusent de "chasser" les voix des rapatriés et des harkis.
Mais c’est surtout le bilan du président-candidat dans le domaine des relations franco-algériennes qui est sévèrement critiqué. "Au début de son mandat, il prônait la politique de la rupture, or en ce qui concerne les relations franco-algériennes, il a réussi mais au sens propre", ironise Hamid Saidani. De son côté Nabila Amir affiche un avis encore plus tranché. "Nicolas Sarkozy n’a rien fait de concret pour apaiser les relations franco-algériennes, un second mandat n’est donc, de ce point de vue, pas souhaitable", assène-t-elle.
Et il ne faut pas compter sur Ghania Oukazi pour faire remonter la cote de popularité du locataire de l’Élysée auprès des journalistes algériens. Selon elle, le mandat du président sortant équivaut à "la période la plus exécrable que l’on ait jamais connue entre l’Algérie et la France". Elle estime que le socialiste François Hollande est perçu en Algérie comme un candidat qui prône le recul et la sagesse, en résumé "une France qui assume" son passé et son histoire. Ce dernier a déclaré vouloir "en finir avec la guerre des mémoires", dans une tribune publiée par El-Watan, le 19 mars, pour le 50e anniversaire de la signature des accords de paix d'Évian, qui ont mis un terme à la guerre d’Algérie. Des positions qui lui valent les soutiens des médias algériens.