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Les rebelles des Farc viennent de libérer, sans condition, leurs derniers prisonniers politiques. Un signe de bonne volonté à l’égard de Bogota, ce qui ne signifie pas pour autant que des discussions de paix auront prochainement lieu.

Les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) avaient assuré le mois dernier vouloir faire le "pari de la paix". La guérilla marxiste vient d’envoyer un signal fort en ce sens : elle a libéré les dix derniers otages politiques - six policiers et quatre militaires - qu’elle détenait depuis parfois plus de 14 ans. Elle a également renouvelé sa promesse de mettre fin aux enlèvements de civils.

Ces libérations représentent une première étape significative depuis l’échec, en 2002, du processus de paix de Caguan, seules négociations jamais entamées entre les forces armées et le gouvernement colombien. Elles n’ont pourtant pas suscité un enthousiasme exacerbé chez Juan Manuel Santos, le président colombien. "C’est un pas dans la bonne direction mais comme nous l’avons déjà dit, cela n’est pas suffisant", a-t-il souligné lundi lors d’une courte allocution télévisée. "Il ne suffit pas d’arrêter les enlèvements, a par ailleurs déclaré le chef de l’État. Il faut libérer les civils et rendre des comptes à leurs familles." La guérilla détient encore aujourd’hui plusieurs centaines de civils, près de 400 selon l’ONG Pays libre, séquestrés dans le but d’obtenir des rançons et financer son mouvement.

"Un signe de bonne volonté"

La promesse des Farc et la libération des otages ne signifient donc pas pour autant la fin prochaine du conflit qui oppose la guérilla marxiste au gouvernement de Bogota depuis près de 50 ans. "Restons mesurés, confirme Jean-Jacques Kourliandsky, spécialiste de l’Amérique latine à l’Institut de recherche internationale et stratégique (Iris). On en est seulement aux prémices de ce qui, un jour, pourra peut-être aboutir à des discussions. Mais ce processus risque de prendre beaucoup de temps et pour l’instant, il n’y a rien de tel. Même si le fait que les Farc libèrent sans contrepartie les otages politiques est un signe indéniable de bonne volonté."

Une prudence d’autant plus justifiée qu’en 2001 la guérilla avait déjà relâché plusieurs centaines de militaires, ce qui ne l’avait pas empêché au cours des mois suivants d’enlever plusieurs personnalités politiques et de multiplier les attaques, mettant ainsi un terme au processus de paix. Et aujourd’hui, derrière les discours pacificateurs, le conflit entre Bogota et les Farc reste en réalité toujours enlisé dans un cycle de violences meurtrières. Les mois de février et mars ont été particulièrement sanglants en Colombie. Début février, une dizaine de personnes ont été tuées dans un attentat à Tumaco, dans le sud-ouest du pays, attribué aux Farc. Un mois et demi plus tard, la guérilla attaquait une base militaire de la région d’Arauca, dans le nord-ouest de la Colombie, tuant 11 personnes, dont 10 soldats.

En représailles, l’armée colombienne a mené, fin mars, deux raids contre les révolutionnaires marxistes. Plus de 70 guérilleros ont été tués, plusieurs de leurs responsables capturés. Un nouveau coup dur pour les Farc, qui, depuis 2008 et la libération de leur otage la plus précieuse, la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt, cumulent les revers militaires : leur porte-parole, Paul Reyes, est mort dans un raid de l’armée en 2008, leur chef militaire Jorge Briceno est tué deux ans plus tard, puis, en novembre dernier, le numéro un des Farc, Alfonso Cano, est abattu lors de combats avec l’armée.

La guérilla marxiste affaiblie

"Certes, les libérations inconditionnelles que viennent de faire les Farc peuvent être interprétées comme un signe de bonne volonté politique. Mais elles peuvent être également vécu comme un signe de faiblesse, au vu des récentes grosses pertes militaires", estime d’ailleurs Jean-Jacques Kourliandsky. La guérilla souffre également d’une impopularité croissante au sein de la population. "Le problème des Farc, c’est qu’elles ont perdu toute crédibilité politique", assure Daniel Pécaut, spécialiste de la Colombie à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). "La population est très remontée contre elles depuis plusieurs années à cause de la multiplication des enlèvements", poursuit le chercheur.

La politique d’ouverture menée par Juan Manuel Santos depuis son élection en 2010 semble ainsi porter ses fruits. La loi pour les victimes notamment, votée en 2011, accorde des indemnisations aux personnes victimes du conflit et prévoit également la restitution des terres aux petits paysans, spoliés par des groupes paramilitaires d’extrême droite - opposés aux Farc -, vivant principalement du narcotrafic. Les autorités estiment à plus de 4 millions le nombre de personnes déplacées par le conflit entre Farc, paramilitaires d’extrême droite et armée. "Rendre justice aux petits paysans était l’une des revendications de base des Farc, rappelle Daniel Pécaut. Elles ont aujourd’hui du mal à justifier leur lutte qui dure depuis un demi siècle."

Aujourd’hui, reste à savoir si Juan Manuel Santos aura les moyens politiques de poursuivre plus avant sa politique d’ouverture, comme il l’avait laissé entendre lors de son discours d’investiture en 2010. L’extrême droite se montre très réticente à l’abandon, par Santos, de la stratégie d’écrasement militaire de la rébellion marxiste, adoptée au cours des deux mandats de son prédécesseur, Alvaro Uribe. Liée, selon Daniel Pécaut, aux trafiquants de drogue, l’extrême droite se bat contre la restitution des terres aux paysans. "Dans ce contexte, Santos ne se lancera pas sans garantie dans des discussions ouvertes avec les Farc, estime Daniel Pécaut. Sachant que l’extrême droite est décidée à entraver toute tentative de solution politique à l’égard des Farc, le moindre faux pas sur le sujet peut faire se retourner l’opinion publique colombienne en faveur de la politique d’Uribe."

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