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La vente aux enchères des instruments de torture n’aura pas lieu

Envisagée un temps par la maison d'enchères parisienne Cornette de Saint-Cyr, la vente de la collection privée de feu Fernand Meyssonnier, ancien exécuteur des condamnés à la peine capitale durant la guerre d’Algérie, a finalement été annulée.

La vente aux enchères de la collection privée de Fernand Meyssonnier, un des derniers exécuteurs français des arrêts criminels qui a donné la mort à 200 personnes durant la guerre d’Algérie, n’aura finalement pas lieu. Cette vente, prévue dans l’Hôtel Salomon de Rothschild, dans le VIIIe arrondissement de Paris, a été suspendue par la maison Cornette de Saint-Cyr vendredi dernier dans un souci "d’apaisement". Annulée et reportée sine die. La maison de vente aux enchères ne précise pas si elle organisera dans un futur proche cette vente intitulée "Peines et châtiments d’autrefois".

La vente de cette collection macabre organisée par la fille de l’ancien bourreau de la République, décédé en 2008, aura fait grand bruit, au point d’émouvoir le ministère de la Culture, qui a conseillé lui-même à la maison Cornette de Saint-Cyr d’annuler l’exposition. "La collection concernée relève par sa nature plus de la morbidité et de la barbarie que de la culture et soulève par sa provenance de douloureux questionnements historiques", a estimé le ministre Frédéric Mitterrand.

Imaginer que des objets tels que des écrase-mains, une corbeille ayant servi à recueillir les têtes des guillotinés ou encore des masques de bourreau soient vendus comme de la décoration du dernier chic a en effet fait scandale. En France, des associations telles que le Mrap, Amnesty International, Acat ou encore l’association Primo-Levi y ont vu un outrage à l’égard de la mémoire des être humains qui ont été victimes de la torture. "On refuse que des gens puissent escompter faire 200 000 euros de recettes sur des objets aussi morbides", explique Henri Pouillot du Mrap.

"Objets historiques"

Des associations sont persuadées que des instruments de sévices ayant servi durant la guerre d’Algérie figurent dans les enchères et soupçonnent la maison Cornette de Saint-Cyr d’avoir cherché à profiter de l’anniversaire des accords d’Evian pour faire enfler les enchères. Le quotidien algérien "El Watan" a ainsi relayé l’émoi de la Fondation du 8-mai 1945, qui se dit "indignée par un tel acte s’apparentant à une provocation qui précède la célébration du 50e anniversaire de notre indépendance arrachée au prix fort". La Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’Homme (CNCPPDH) y voit une "apologie posthume de l’ère coloniale".

Un début de polémique que la maison Cornette de Saint-Cyr a cherché à éteindre : la vente "ne comprend aucun objet concernant la guerre d'Algérie", affirme Me Bertrand Cornette de Saint-Cyr, commissaire de la vente. Elle est constituée pour la plus grande partie de "documents historiques qui commencent au XVIe siècle jusqu'aux années 1930".

Fernand Meyssonnier a constitué la plupart de sa collection personnelle à partir des années 1970, bien après la fin de la guerre d’Algérie, quand il s’est installé à Tahiti, atteste Jean-Michel Bessette, anthropologue et auteur d’un livre d’entretien "Paroles de bourreau : témoignage unique d'un exécuteur des arrêts criminels" (éditions Imago, 2002). "Il a sillonné les salles de vente d’Europe avec un camping-car à la recherche d’objets historiques. Sa démarche s’apparentait à celle d’un historien. Il cherchait ainsi à se fabriquer une nouvelle identité, de façon naïve et touchante, pour changer le regard que les gens portaient sur lui." L’anthropologue confirme toutefois qu’un des objets en vente est bel et bien contemporain de la guerre d’Algérie.

D’après l’ancien proche de Fernand Meyssonnier, ce dernier cherchait depuis longtemps à vendre sa collection, après avoir échoué à rentabiliser un musée privé ouvert au rez-de-chaussée de sa maison à Fontaine-de-Vaucluse dans les années 1990. Cet éphémère Musée de la justice et des châtiments n’a pas passé la décennie. Jean-Michel Bessette affirme également que Fernand Meyssonnier cherchait à remettre ses biens à l’Etat - à un musée national par exemple. Un scénario qui n’a pas abouti du vivant du bourreau, mais que souhaitent désormais plusieurs associations, dont le Forum Algérie et l’association Primo Levi. "L’Etat pourrait exercer son droit de préemption sur ces objets", suggère Eléonore Morel, directrice de l’association Primo Levi, qui rappelle que "ces objets sont encore utilisés dans la moitié des pays dans le monde et ont traumatisé les victimes" que soigne l’association. Ce droit de préemption n’est pas évoqué par le ministère de la Culture.