logo

Quand l'Institut du monde arabe découvre le corps

L’Institut du monde arabe, à Paris, présente jusqu’au 15 juillet 2012 une vaste exposition sur le corps tel que représenté par les artistes arabes, classiques et contemporains. Une exposition audacieuse, sans prétention politique.

Véhicule de nos interactions avec le monde, de nos émotions, de nos souffrances, mais aussi cartographie immuable de nos expériences, le corps n’a cessé de tenir une place de choix au sein de la création artistique. Des peintres et sculpteurs de la fin du XIXe siècle aux artistes contemporains, nombreux sont ceux qui ont utilisé la représentation du corps humain comme moyen d’expression et sujet d’interrogation. À l’inverse des idées reçues toutefois, la révélation du corps au travers du nu n’a pas été et ne demeure pas une prérogative occidentale. Ainsi la richesse des productions des artistes arabes dans ce domaine ne manque pas de surprendre.

C’est elle que l’Institut du monde arabe à Paris révèle au travers d’une nouvelle exposition intitulée Le corps découvert. "Lorsque j’ai commencé à travailler sur cette exposition, j’ai été étonnée de l’amplitude de la création qui existe chez les artistes arabes autour de ce thème", confie Hoda Makram-Ebeid, une des deux commissaires de l’exposition, jugeant inédit le rassemblement d’autant d’œuvres d’artistes arabes sur le thème choisi. "Il ne s’agissait pas d’être dans la provocation. Mais les clichés ont tendance à primer dans ce domaine. Beaucoup de gens ici pensent que toutes les femmes des pays arabes sont voilées par exemple. Nous avons voulu offrir autre chose que la vision unique véhiculée par les médias", poursuit-elle.

Composition hétéroclite

Peintures, sculptures, enluminures, photographies, installations vidéo, aucun medium artistique n’a été laissé de côté. Au premier abord quelque peu chaotique, l’exposition ne cherche pas à suivre un fil chronologique, mais plutôt à mettre en parallèle les œuvres d’artistes classiques et contemporains en une composition hétéroclite. En débutant par les œuvres de Georges Daoud Corm, Omar Onsi ou Gibran Khalid Gibran notamment, elle raconte comment le corps est apparu dans les productions des artistes arabes qui durent, dès les années 1890, quitter leur pays d’origine où n’existaient pas encore d’écoles susceptibles de pratiquer un enseignement artistique. Chez ces artistes, la formation fut très académique, mais certains se distinguèrent néanmoins, tels que l’audacieux Khalil Saleeby qui osa conquérir la beauté du nu masculin.

C’est le féminin qui tend cependant à dominer l’exposition. Qu’il soit représenté allongé en position lascive sur un divan dans un excès d’"orientalisme" parfois ironique ou pose de manière atypique, le corps des femmes ne peut échapper aux regards. Certains artistes comme la Marocaine Majida Khattari illustrent ainsi les différents rôles culturels du voile en jouant de son opacité pour révéler l’ambiguïté de toute dissimulation. D’autres, comme le remarquable artiste irakien Adel Abidin ou la Syrienne Laila Muraywild, font du corps nu de la femme le symbole de la vulnérabilité et de l’oppression face à l’égoïsme et la violence attribués aux hommes.

Instrument de toutes les luttes

Entre les artistes présents, un point commun : que ce soit par périodes ou de manière définitive, tous ont quitté leur pays natal pour travailler en Europe ou aux États-Unis. L’influence culturelle de ces déplacements est inévitable, mais elle n’en réduit pas l’originalité de leurs œuvres.

Exposer le corps, exposer son corps, est un indéniable moyen d’expression, qu’il soit intime ou politique. Si l’Institut du monde arabe se garde de conduire le public sur des territoires trop accidentés, il est impossible de ne pas songer, en ces temps de bouleversements au sein du monde arabe, que le corps est aussi l’instrument de toute lutte, celle des hommes comme des femmes.