En dépit des déclarations rassurantes des autorités japonaises, la centrale accidentée de Fukushima reste fragile. Si les réacteurs endommagés ont été "stabilisés", la décontamination du site reste problématique.
"Ce qui frappe, c’est la dévastation." Les mots sont de Bernard Bigot, président du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), interviewé le samedi 3 mars 2012 par "Libération", quelques jours après s’être rendu à la centrale accidentée de Fukushima Daiichi.
Un an après l’incident nucléaire du 11 mars 2011, Fukushima ne voit donc pas encore le bout du tunnel. Et ce malgré les déclarations rassurantes de l’opérateur de la centrale, Tepco, société largement critiquée pour son incompétence dans la gestion de la crise. Ce géant de l’énergie a, en effet, multiplié ces derniers jours les effets d’annonce concernant, notamment, la stabilisation des réacteurs éventrés. "La centrale est désormais en état d’arrêt à froid [ce qui signifie le maintien de la température à l'intérieur des réacteurs sous 100 degrés, ndlr]", a déclaré Takeshi Takahashi, le directeur de la centrale. Qui a ajouté :"Nous allons à présent faire le maximum pour permettre à des habitants évacués de revenir chez eux le plus rapidement possible."
"Des réacteurs toujours en fusion, donc nocifs"
Des déclarations aussi présomptueuses qu’irréelles, estime Stéphane Lhomme, président de l’Observatoire nucléaire. Non seulement la centrale est loin d’être stabilisée mais elle est encore et surtout "extrêmement fragile". "Nous sommes toujours dans le cadre de la catastrophe. Même si la puissance thermique a considérablement baissé dans les quatre réacteurs endommagés, ces derniers sont toujours en fusion et donc toujours nocifs", affirme-t-il. Avant d’ajouter sur un ton assez alarmiste : "Certes, la situation globale s’est légèrement améliorée depuis un an, mais le corium [agglomérat de combustible nucléaire et d’éléments d’assemblage, ndlr] qui s’est écoulé au fond des cuves constitue le véritable problème".
Selon l’expert, en s’accumulant, ce magma de plusieurs milliers de degrés menace à chaque instant de percer le béton sous la cuve et de se répandre dans les nappes phréatiques. Un scénario dramatique. "Au contact de l’eau, le corium pourrait déclencher une série d’explosions de vapeur très violentes. Ce qui replongerait Fukushima dans une situation catastrophique", développe Stéphane Lhomme.
Une contamination maîtrisée ?
Une théorie alarmiste que ne partage pas Thierry Charles, directeur de la sûreté des installations à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Si, selon lui, les autorités japonaises auront encore fort à faire pour colmater toutes les fuites du site, la situation ne justifie pas un tel pessimisme. "Il y a encore des rejets et la centrale reste fragile, mais c’est sans commune mesure avec la situation de l’année dernière", affirme-t-il avant d’énumérer tous les efforts mis en œuvre par les autorités pour mettre le site hors d’état de nuire.
"Ils ont injecté dans la centrale un produit fixant la contamination au sol, ils récupèrent les détritus, ils bouchent les galeries qui fuient, ils lavent les sols et ils ont couvert le réacteur numéro 1 d’une charpente métallique pour limiter les rejets… Ils s’activent", argumente-t-il. De plus, continue Thierry Charles, rien ne sert de s’alarmer outre mesure des taux de radioactivité enregistrés sur l'ensemble du territoire japonais. "Les rejets principaux se sont produits du 12 au 25 mars 2011. Sans compter que la plupart des particules libérées, hormis le césium, ont une durée de vie assez courte. Leur dangerosité décroît de moitié rapidement (de quelques heures à huit jours selon le type d'iode). Elles ont donc surtout représenté un risque pour l'environnement et la santé durant les premières semaines après l'accident."
Un démantèlement s’étalant sur 40 ans
Thierry Charles rejoint toutefois son confrère sur un point : la dangerosité et le devenir du corium tombé au fond des enceintes de confinement. Avec quelques nuances : "Il est actuellement impossible de préciser la quantité présente dans les réacteurs. Et rien ne dit qu’il a pu percer plusieurs mètres de béton".
Reste la problématique du démantèlement progressif du site, un défi technique qui nécessite d’importants moyens, et de la décontamination de la zone - une gageure pour les autorités japonaises déjà aux prises avec la question de la sécurité sanitaire et du rapatriement des populations évacuées.
"Il faudra environ 30 ans avant que le site ne soit totalement démantelé et mis hors d’état de nuire. Et autant d’années avant que la population ne puisse rentrer chez elle", assure Stéphane Lhomme qui rappelle qu’après une année entière de rejets radioactifs dans l’atmosphère - équivalent à 408 millions de milliards de becquerels -, la centrale, ainsi que ses environs (dans un rayon de 30 kilomètres) sont un immense champ de désolation et de ruines. Un avis partagé par Thierry Charles : "Les indicateurs ont relevé des niveaux très ou trop élevés de radioactivité dans des municipalités de la zone évacuée autour de la centrale. Des lieux qui resteront pour certains définitivement inhabitables". Un constat qui vient sensiblement détonner avec l'optimisme de Takeshi Takahashi.