Un douanier nous interroge sur notre destination, nous dévisage et lâche, telle une irrévocable sentence : "Nobody goes to Salt Lake City".

C'est vrai : il n'y pas grand-chose à Salt Lake City. Avant les mormons, il n'y avait même rien. D'ailleurs, le point zéro de la ville, c'est le Temple de l'Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours.

Notre défi, pour ce reportage, était de nous montrer le plus objectif possible. La foi est un sujet sur lequel chacun à un avis, nous ne voulions justement pas en avoir, mais saisir véritablement ce qu'est le mormonisme et ceux qui la pratiquent. Nous avons donc passé du temps avec les fidèles de l'Église des Saints des derniers jours. Nous les avons écoutés et les avons fait parler. Nous avons découvert des gens charmants et accueillants. Était-ce motivé par le désir de renvoyer une image positive ? Je ne le crois pas. Nous avons rencontré des personnes convaincues d'être dans le vrai, qui comprennent que l'on puisse émettre des réserves sur leur mode de vie, leurs croyances et le fonctionnement de leur église, mais qui considèrent que toutes les critiques ne sont qu'ignorance. Ce qui est défendable.

Le maintien dans l'ignorance

Cependant, ce qui nous a surpris c'est de constater que la majorité des mormons se maintiennent justement dans l'ignorance : des règles tacites interdisent aux fidèles de consulter les écrits "anti-mormons" ou d'être en contact avec des influences considérées comme négatives. C'est ainsi que des étudiants du campus mormon de Brigham Young University nous ont raconté qu'avant le lancement de la campagne de communication "I'm a mormon", valorisant le mormonisme, la plateforme Youtube n'était pas consultable depuis le campus.

Ce qui nous a également frappé, c'est de constater la dichotomie : jugement divin/jugement humain. Car, finalement, le jugement humain est primordial même si, aux yeux des mormons, il est dicté par le divin. Les présidents de congrégations et les évêques, qui sont issus de la société civile et fonctionnent par "mandats", jouent un rôle très important à l'échelle de la paroisse. Les fidèles doivent régulièrement leur rendre des comptes, se raconter, afin de prouver qu'ils sont dignes de l'accès au temple ou d'étudier dans une université mormone. Ce sont également eux qui assignent les missions aux paroissiens - du nettoyage de l'église à l'enseignement des écritures.

Nous avons pu constater combien les activités proposées/imposées par l'Église sont chronophages. Outre le bénévolat et la messe, les mormons sont appelés à participer à diverses activités communautaires, dont le "Visiting Teaching", où chaque membre de la paroisse doit aller régulièrement visiter certains de ses voisins pour prendre de ses nouvelles, mais aussi pour parler de religion et prier. Néanmoins, cette implication semble bien vécue par les croyants, qui estiment ainsi rendre un peu de ce qu'ils reçoivent. En revanche, pour ceux qui doutent, c'est un calvaire car ils doivent en permanence donner le change et éluder leur détresse.

A la rencontre des anciens mormons

Nous avons croisé le chemin de nombreux anciens mormons pour qui l'appartenance à l'Église s'est révélée fort destructrice au plan psychologique. Certains nous ont confié des expériences douloureuses, d'autres des histoires tragiques. Mais tous nous ont dit revivre depuis qu'ils ont coupé avec l'Église des saints des derniers jours.

Tout au long de ce reportage, nous avons tenté de répondre à une question : pourquoi cette religion connaît-elle un tel engouement et une telle expansion ? Je crois que nous avons pu obtenir un début de réponse.

L'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours sait rassurer, à la fois concrètement et spirituellement. Elle promet sécurité à ses ouailles, en les nourrissant en cas de besoin, les accompagnant dans la recherche d'un emploi, ou leur offrant une famille de substitution. Elle les aide également à ne plus redouter la mort en leur promettant la vie éternelle, entourés de tous leurs proches.