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Pourquoi le Front national soutient les dictateurs arabes

Par la voix de son fondateur, Jean-Marie Le Pen et de sa fille, Marine Le Pen, candidate à la présidentielle, le Front national continue de soutenir le régime syrien. Sylvain Crépon, spécialiste de l’extrême droite française décrypte cette position.

Le président d’honneur du Front national (FN), Jean-Marie Le Pen, a une nouvelle fois défendu le régime du président syrien Bachar al-Assad. Dimanche, dans le cadre de l’émission Radio France Politique, il s'est refusé à condamner la répression qui se déroule depuis plus de 11 mois en Syrie, arguant que le président syrien "est aux prises avec une guerre civile". Par ailleurs, "il regrette la paix qui régnait" en Libye avant la chute du colonel Kadhafi. En son temps, le fondateur du parti avait également soutenu le président irakien Saddam Hussein.

Sa fille Marine Le Pen, candidate du FN à la présidentielle, peine de son côté à prendre clairement position. Interrogée plusieurs fois sur la question syrienne, elle refuse pour l’instant de demander le départ du président syrien. Contacté par FRANCE 24, Sylvain Crépon, spécialiste de l’extrême droite française et chercheur à Sophiapol, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, décrypte ce positionnement.
FRANCE 24 : La sympathie du fondateur du Front national pour les régimes autoritaires arabes n'est pas nouvelle. Comment expliquez-vous ses soutiens successifs à Saddam Hussein, au colonel Kadhafi et plus récemment au président Assad ?
Sylvain Crépon : Pour comprendre ce positionnement, il faut notamment revenir à la fin des années 1980, au moment de la chute du mur de Berlin. Le Front national de Jean-Marie Le Pen, alors en phase avec l’axe anticommuniste, se pose comme le défenseur de l’Occident chrétien et prétend incarner la véritable droite en se réclamant du président américain Ronald Reagan. Or, après la chute du mur de Berlin et l'éclatement de l’URSS (Union des républiques socialistes soviétiques), l’extrême droite française, désormais orpheline du communisme, n’a plus d’ennemi à l’Est. Elle doit par conséquent revoir sa politique internationale. Pour ce faire, le FN va puiser dans les pensées de groupes, tels que le GRECE (club de pensée anti-égalitariste), qui développent la pensée du différencialisme culturel et s’opposent au métissage qui, selon eux, constitue un danger contre l’identité des peuples. Désormais, l’ennemi est à l’Ouest et il est américain car son hégémonie, culturelle et politique, menace justement les identités.
Le revirement du Front national, qui s’inscrit dans une logique contestataire, s'opère au début des années 1990 lorsqu’il s’oppose à la première guerre du Golfe, après l’invasion du Koweït par les troupes de l’Irakien Saddam Hussein. Depuis, le FN a défendu quasi-systématiquement les dictatures arabes contre les pays occidentaux, au nom du différencialisme, arguant que la démocratie et les valeurs occidentales sont inadaptées à ces populations. Un positionnement qui leur permet de légitimer leur opposition aux arabes et aux musulmans présents sur le territoire français.
F24 : Marine Le Pen, elle-même, rechigne à condamner le régime syrien. Mais elle semble moins à l’aise avec ce choix. Qu’en est-il réellement ?
S.C : Je ne suis pas sûr qu’elle ait des convictions fermes sur cette question. Elle semble mal à l’aise car ce genre de dossiers gêne son entreprise de dédiabolisation du parti. Son pragmatisme la conduit à composer avec une partie de son entourage qui, par antisionisme radical, affiche son soutien au président Bachar al-Assad. Certains d’entre eux sont même très proches du régime syrien. Marine Le Pen ne veut pas se couper de cette puissante frange pro-arabe et antisioniste. Elle lui donne donc des gages en ne condamnant pas le régime des Assad, alors que paradoxalement elle n’a de cesse de tenter de normaliser ses relations avec la communauté juive et de se rapprocher de l’État d’Israël.
F24 : Un tel positionnement sur la Syrie est-il en phase avec l’électorat de Marine Le Pen et le Front national ?  
S.C : Il n’y aura pas, à mon humble avis, d’impact sur son électorat. D’autant plus que pour justifier cette politique, la candidate frontiste développe son argumentaire classique. Elle affirme que la chute des "dictatures arabes laïques" pourrait favoriser l'instauration de dictatures islamistes aux portes de l'Europe. Un propos qui peut paraître parfois paradoxal puisque son parti entretient des relations plutôt cordiales avec des régimes islamistes tels que l’Iran. Toutefois, en agitant cette menace, elle limite l’impact de son positionnement en faveur des dictatures. De plus, ses électeurs ne font pas des relations internationales leur priorité.