, envoyée spéciale à Athènes – Véritables laboratoires d'idées, les universités grecques demeurent un haut lieu du débat politique. Mais face à la crise, les jeunes se détournent des partis traditionnels et boudent les mouvements politiques universitaires.
Une atmosphère qui rappelle la Sorbonne à la fin des années 60 flotte dans le sous-sol de la faculté d'économie d'Athènes. Un long et large couloir placardé d'affiches politiques déchirées, recollées et taggées. Un léger brouillard à l'odeur de clopes et de joints – il est encore permis de fumer dans les lieux publics et les cafés – stagne à mi-hauteur alors que de vives discussions s'engagent autour des bureaux des partis politiques universitaires. Nous sommes dans le centre névralgique de la faculté. Là où tous les étudiants se rencontrent, boivent un café – véritable institution dans le pays – et jouent aux cartes. C'est là, qu'à force de débats politiques, les étudiants fomentent des révolutions, organisent des rassemblements, inventent l'avenir de leur pays. Un petit laboratoire politique.
"C'est un lieu de vie, ça a toujours été comme ça", commente Constantina, étudiante, "politisée mais pas militante". Le nombre de petits bureaux politiques dans la fac d'économie est l'illustration parfaite de la forte tradition qui perdure dans les universités grecques. Tous les étudiants, ou presque, se sont rendus sur la place Syntagma pour contester le nouveau plan de rigueur, adopté le 12 février par les députés, et crier leur colère face à un système politique qu'ils rejettent. Hauts lieux de la contestation sous la dictature, entre 1967 et 1974, les facultés restent aujourd'hui encore des endroits au statut un peu à part. Ne serait-ce que par "l'asilo", le droit d'asile universitaire, accordé en 1975 au lendemain de la chute de la dictature, qui interdit à la police de pénétrer sur les sites des universités sauf en cas de crime. En 2008, au moment des violences qui avaient suivi la mort d'un adolescent tué par la police, les émeutiers y avaient trouvé refuge. En principe, ce statut particulier a été abrogé cet été, mais à Athènes la tradition perdure. "Les images des chars entrant dans la cour de l'École polytechnique [siège de l'opposition étudiante, contre la dictature, écrasée dans le sang en novembre 1973] restent très vives dans la mémoire collective", explique Alexis, étudiant en science politique.
Socialistes et conservateurs boudés par les étudiants
La réforme des universités – qui a également signé l'abrogation de "l'asilo" – est l'objet de toutes les luttes à la faculté d'économie d'Athènes. Presqu'autant que la crise que traverse le pays. Dans le couloir, les couleurs verte du Pasok, parti socialiste grec, et bleue de la Nouvelle démocratie, parti conservateur, dominent. Pourtant ici, il n'est pas de bon ton d'afficher sa proximité avec ces deux partis membres du gouvernement actuel, "la coalition traître", comme la surnomme un étudiant. Les jeunes socialistes et conservateurs prennent un soin tout particulier à se démarquer de leurs partis de tutelle... Mais peine perdue, les désertions au sein des deux mouvements universitaires sont légion depuis le début de la crise. À l'image de George, étudiant en science politique. "J'ai quitté le Pasdep [nom du parti des jeunes Pasok] parce que je n'avais pas vraiment le temps de m'impliquer politiquement", assure d'abord le jeune homme. Puis après une hésitation, il lâche: "En fait, c'est aujourd'hui très difficile à assumer : quand tu milites pour le Pasdep, tout le monde te prend pour un suppôt du Pasok et de Papandréou". Papandréou, nom de l'ancien Premier ministre grec, sonne comme une injure. À droite, comme à gauche. Sa gestion catastrophique de la crise grecque s’est soldée par sa démission en novembre dernier.
"Les Papandréou, le père [Andreas, Premier ministre entre 1981et 1989 puis entre 1993 et 1996] et le fils [George, Premier ministre entre 2009 et 2011], ont tué la Grèce", affirme très sûr de lui Georgis, un jeune militant de la branche jeunesse de Nouvelle démocratie. "Le premier a nommé trop de fonctionnaires, le second les a maintenus. Tout ça, c'est à cause du Pasok". Lorsqu'un autre étudiant lui demande si la Nouvelle démocratie fait des miracles, au sein de l'actuelle coalition au pouvoir, Georgis se débine. "Nous sommes contre tout ce que fait le gouvernement en ce moment, répond-il. Nous sommes liés avec Nouvelle démocratie, mais nous ne sommes pas la brigade étudiante de ce parti. Nous avons nos propres idées, notre propre ligne de conduite". Pourtant, comme la majorité des étudiants présents, Georgis n'a pas manifesté dimanche sous les couleurs de son mouvement. Même son de cloche du côté du Pasok et des mouvements universitaires de la gauche radicale.
"Il y a un rejet de tout ce qui touche au système politique traditionnel, assure Yanis, jeune étudiant en statistiques, proche de Nouvelle démocratie. Nous traversons une profonde crise de foi politique". Constat similaire du côté de Arena et Raseak, deux mouvements de gauche radicale. Alors que de récents sondages montrent une explosion des adhésions aux partis radicaux, les mouvements de la jeunesse d'extrême gauche, eux, n'attirent pas les foules. "La crise n'a pas vraiment joué en notre faveur, concède Chrysanthi, étudiante en gestion et anti-capitaliste chevronnée à Arena. Beaucoup de gens dans la société veulent s'impliquer davantage dans la vie politique, ils se rendent compte de la faillite du système capitaliste. Mais à l'université, même s'il y a beaucoup de débats politiques, les étudiants ne s'impliquent pas dans les mouvements. Ils se dépêchent de passer leurs diplômes et partent à l'étranger". Un désintérêt que regrette amèrement la jeune femme. "Être actif politiquement c'est maintenant une obligation pour les gens. Si on ne fait rien, si on ne se bat pas, on n'aura rien à espérer pour l'avenir. Chaque jeune qui part à l'étranger, c'est une lumière d'espoir qui s'éteint pour le pays".