, envoyée spéciale à Athènes – À Athènes, les vitrines brisées lors des émeutes du 12 février sont peu à peu remplacées, les bâtiments incendiés vidés, mais la colère ne s'est pour autant pas apaisée : la jeunesse grecque craint toujours pour son avenir.
Une légère odeur de brûlé par endroits, quelques graffitis sur les murs, des pavés arrachés ça et là... Quatre jours après les violentes manifestations contre le vote d'un nouveau plan d'austérité par les députés grecs, le centre d'Athènes ne porte à première vue que peu de stigmates des émeutes qui ont enflammé la ville le 12 février. C'est seulement en s'éloignant un peu de la place Syntagma, qui fait face au Parlement, que les façades noircies des bâtiments incendiés et les vitrines brisées témoignent de la violence des récents incidents. Les vendeurs de café et de cacahuètes ont cependant vite réinvesti les rues, les magasins ont rouvert, la torpeur affichée par les Athéniens lundi 13 février s'est rapidement effacée. Mais sous ce vernis, une colère sourde continue de gronder à l'égard du gouvernement grec et de l'Union européenne (UE).
Le patron d'un petit café situé à deux pas de la place Syntagma brandit en riant la dernière édition du quotidien de droite "Demokratia". Un photomontage de Wolfgang Schäuble, ministre allemand des Finances, affublé d'un uniforme nazi apparaît en une. "Il ne fait pas bon être allemand en ce moment ici", commente-t-il. À juste titre : depuis le début de la crise, l'Allemagne est en effet dans la ligne de mire des manifestants grecs, accusée de faire la pluie et le beau temps sur le pays. Le 12 février, un nouveau pas a été franchi dans leur ressentiment à l'égard de Berlin. Alors que les députés grecs, sous la pression de l'UE et du Fonds monétaire international (FMI), condamnaient une nouvelle fois la population à une cure d'austérité drastique, le ministre allemand a qualifié le pays de "puits sans fond" qu'on "ne pouvait pas alimenter indéfiniment" et mis en cause l'efficacité des plans de rigueur successifs dans le pays.
Ces déclarations ont fait bondir plus d'un Athénien. "À quoi servent alors tous les sacrifices qu'on subit depuis deux ans ?", s'indigne Elena, jeune employée dans un magasin de chaussures. Dans le pays, le chômage atteint des sommets : il frise les 21 % de la population active et atteint près de la moitié des moins de 25 ans. Maria*, une trentenaire occupant un bon poste au ministère du Travail, affirme que le taux de chômage réel est bien plus élevé que ces chiffres officiels. "De nombreuses personnes ne sont pas inscrites sur les listes des demandeurs d'emploi, affirme-t-elle. C'est souvent par manque d'espoir : les gens se disent que s'inscrire ne fait pas plus avancer les choses". De l'espoir, Maria n'en affiche pas beaucoup non plus. Assise à l'une des grandes tables du Booze, un immense café branché du centre d'Athènes, la jeune femme explique le malaise grec. "Cela devient de plus en plus difficile d'envisager un avenir ici, lâche-t-elle. Mon mari fait une thèse au Royaume-Uni. Je pense que dès qu'il aura fini, nous nous installerons dans un autre pays d'Europe, ou au Moyen-Orient. Parce qu'ici, l'avenir est trop sombre." Comme elle, beaucoup de jeunes quittent le pays et partent s'installer en Australie, notamment, où est implantée une forte communauté grecque.
"Il n'y a plus que des précaires"
"Avec ma situation il y a cinq ans, j'aurais pu acheter un appartement, poursuit la jeune fonctionnaire. Aujourd'hui, c'est impossible. On ne projette pas d'avoir un enfant non plus, on aurait du mal à l'élever convenablement." En moins d'un an, son salaire a baissé de plus de 18 %, "et encore, précise-t-elle, j'ai été embauchée après les plus grosses baisses de salaire pour les fonctionnaires [décidées après le premier plan de rigueur en mai 2010]". Certains ont vu le montant de leur fiche de paie s'effondrer de plus de 50 % en deux ans. Le secteur privé ne se porte pas mieux : les entreprises licencient à tour de bras. Les conséquences sociales sont désastreuses. Ceux qui composaient auparavant la classe moyenne – fonctionnaires et employés du privé – ne parviennent plus à payer leurs crédits immobiliers. Nombreux sont ceux qui quittent Athènes pour retourner chez leurs parents à la campagne. Nombreux aussi sont ceux qui, surendettés, se trouvent pris à la gorge et viennent grossir les rangs des sans domicile fixe du centre de la capitale depuis deux ans. Des travailleurs pauvres ou des personnes issues de la classe moyenne dorment désormais dans la rue. Pourtant les loyers athéniens ont fortement baissé. "Pour les propriétaires, mieux vaut toucher moins d'argent que ne rien toucher du tout", commente Maria.
L'abaissement du salaire minimum à 586 euros et à 360 euros pour les moins de 25 ans ne va évidemment pas améliorer la situation. "Avec 586 euros, tu peux éventuellement te loger en collocation et te nourrir ici, à Athènes, explique Maria. Mais tu ne te déplaces pas, tu ne communiques pas – pas d'Internet, pas de téléphone". "On fait, depuis le début de la crise, comme s'il ne s'agissait que de données économiques mais que ça ne concernait pas 11 millions de Grecs, s'insurge-t-elle. La classe moyenne disparaît : il n'y a même plus de classe ouvrière, il n'y a plus que des précaires." La joyeuse agitation du café Booze ne fait pas illusion : la jeunesse grecque angoisse, l'avenir ne lui sourit pas. Les personnes âgées ne sont pas épargnées non plus : beaucoup ont quitté les maisons de retraite, les familles ne pouvant plus assumer les quelques centaines d'euros que coûte leur prise en charge. Alors si les rues touristiques d'Athènes finissent de camoufler les traces des émeutes du 12 février et reprennent leur visage d'apparat, l'angoisse du lendemain en Grèce semble n'épargner personne.
*Prénom d'emprunt.