logo

"Proposer l'envoi de Casques bleus : un discours purement diplomatique"

Voici neuf jours que le pilonnage de Homs se poursuit. Malgré la multiplication des initiatives internationales, Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie, est pessimiste : il n'entrevoit pas de solution diplomatique en 2012.

Alors que les bombardements se poursuivent dans la ville de Homs et sa région, la Ligue arabe, réunie au Caire dimanche, a proposé l’envoi de troupes de maintien de la paix conjointement avec l’ONU. L'organisation panarabe a également décidé de soutenir ouvertement l’opposition syrienne sur le plan matériel et financier. Bien que la répression ne cesse d'empirer, la communauté internationale semble désormais dans une impasse sur le terrain diplomatique, après le double veto russe et chinois au Conseil de sécurité le 4 février.

Quelles perspectives reste-t-il pour résoudre la crise syrienne ? Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et directeur du Groupe de recherche et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo), a exploré pour FRANCE 24 les différentes options et les scénarios possibles.


France 24.com : La Ligue arabe a proposé dimanche l’envoi de Casques bleus en Syrie, conjointement avec l’ONU. Comment expliquer cette initiative arabe et a-t-elle des chances d’aboutir ?

Fabrice Balanche : Ce sont des discours purement diplomatiques de la part des Arabes parce qu’ils savent parfaitement qu’une résolution de ce genre ne passera jamais à l’ONU. Les Russes y opposeront à coup sûr leur veto. Elle traduit, par contre, une frustration chez les Arabes après les veto russe et chinois il y a une dizaine de jours. Mais on remarquera, par ailleurs, que c’est assez contradictoire de la part des Arabes de proposer d’une part des forces de maintien de la paix et de l’autre, d’annoncer officiellement qu’ils arment la rébellion. On envoie des Casques bleus généralement après un cessez-le-feu, hors rien ne présage cela à l’heure actuelle en Syrie. À mon sens, c’est donc surtout une caution diplomatique que veulent se donner l'Arabie saoudite et le Qatar pour continuer à armer la révolution syrienne, mais officiellement.

F24 : Outre cette proposition de la Ligue arabe, d’autres voix se sont élevées pour proposer des solutions alternatives après l’échec du Conseil de sécurité. La France a formé le groupe des amis de la Syrie, dont Tunis doit accueillir la première réunion le 24 février, et la Turquie a également fait part de son intention d’organiser une conférence internationale sur la Syrie. Qu’en est-il de ces projets ?

F.B. : Pour moi rien ne pourra se faire tant que les Russes ne fléchiront pas, or ils sont jusqu’au-boutistes. Quand a l’initiative française, elle n’implique en rien une quelconque intervention en Syrie. Ni La France ni les États-Unis n’en ont l’intention d'ailleurs. Ce groupe des amis de la Syrie sert à montrer qu’on soutient l’opposition syrienne et la révolution. Cela fait plaisir au Qatar et à l’Arabe saoudite d’un côté - on commerce avec eux - et cela permet de recoller les morceaux avec la Turquie [ndlr : froissée après le vote de la loi pénalisant la négation du génocide arménien]. De cette manière, on se met également en position d’attente :  que 2012, année d’élections, passe ou que des évolutions sur le terrain changent la donne.

F24 : Au-délà de la protection de ses intérêts en Syrie, que cherche la Russie en se montrant aussi fermée alors que le bain de sang continue ?

F. B. : La Russie a bien fait comprendre que la Syrie était sa chasse gardée. À l’heure actuelle, la diplomatie russe consiste à tenter de convaincre une partie de l’opposition syrienne de négocier avec le pouvoir dans le but de former un gouvernement de coalition. Le Conseil national syrien [ndlr : présidé par Burhan Ghalioun et regroupant la majeure partie des courants d’opposition], téléguidé et financé par le Qatar, ne représente en réalité que l’opposition exilée. Certaines grandes figures de l’opposition de l’intérieure ne l’ont pas rejoint et n’ont pas encore écarté toute idée de négociation avec le pouvoir. Il s’agit d’opposants historiques tels que Michel Kilo, Aref Dalila, ou Haïtam al-Manaa. Certains d’entre eux étaient d’ailleurs récemment à Moscou pour discuter d’une éventuelle issue. Le problème qui se pose pour l’instant, c’est qu’ils refusent de se laisser imposer les termes de la négociation par le régime . Ils pourraient accepter de discuter, mais à leurs conditions.

F24 : D’après vous, quels sont les scénarios possibles en Syrie ?

F. B. : On va vers une dégradation de la situation sur le terrain. Après l’appel au djihad lancé par al-Zawahiri ce week-end, on peut craindre de nouveaux attentats. Sur le plan international, la diplomatie restera dans l’impasse en 2012. Reste à savoir qui des rebelles ou des forces du régime gagnera le rapport de force.