Au lendemain de l'adoption au Sénat français du projet de loi sur la négation du génocide arménien qu'il juge "discriminatoire et raciste", le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a menacé Paris de représailles.
Les mises en garde turques n'y auront rien fait. Après plus de sept heures de débats au Sénat français, la proposition de loi pénalisant la négation des génocides, dont celui des Arméniens en 1915 sous l'Empire ottoman, a été adoptée en France par 127 voix "pour" et 87 "contre". La contestation d’un génocide reconnu par Paris est donc désormais un délit, puni d'un an d'emprisonnement et d'une amende de 45 000 euros.
Pour être appliquée par les tribunaux français, la loi, qui a déjà adoptée par l'Assemblée nationale le 22 décembre, doit être promulguée par le président Nicolas Sarkozy dans un délai de 15 jours.
Lors d'un discours prononcé ce mardi 24 janvier au Parlement devant les députés de son parti (AKP, issu de la mouvance islamiste), le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a fustigé une proposition "discriminatoire et raciste". Et a promis de mettre en œuvre "étape par étape" des mesures de représailles contre Paris.
Juppé plaide pour l’apaisement
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"Vue d'istanbul, la loi sur la repression de la négation du génocide arménien est accueillie comme une insulte"
Quelques heures plus tôt, le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, avait plaidé pour l'apaisement avec Ankara,
qui avait menacé la France de "sanctions permanentes" en cas d’un vote en faveur du texte. "J’appelle nos amis turcs au sang-froid, la Turquie est un grand pays, une grande puissance économique et politique, nous avons besoin d'avoir de bonnes relations avec elle", a déclaré le chef de la diplomatie française sur Canal+. Et d’ajouter : "Passée cette vague, un peu excessive, il faut bien le dire, je suis persuadé que nous retrouverons des relations constructives. Moi, je tends la main. J'espère qu'elle sera saisie un jour."
Et pour cause, Ankara qui reconnaît le massacre des Arméniens mais refuse catégoriquement d'y voir un génocide, a réagi avec virulence aussitôt après le vote des sénateurs : "Acte irresponsable", "manque total de respect", "grande injustice". De son côté, le ministre turc de la Justice, Sadullah Ergin, a qualifié la loi comme étant "nulle et non avenue".
Le ministère turc des Affaires étrangères a publié un communiqué, lundi soir, dans le lequel il réitère la détermination du pays "à prendre toutes les mesures nécessaires
contre cette mesure injuste". La Turquie a également menacé de réduire sa présence diplomatique en France. "Quand je parle de rupture totale des relations diplomatiques, cela comprend mon départ définitif", a déclaré l'ambassadeur turc en poste à Paris, Tahsin Burcuoglu.
Interrogé par FRANCE 24 lundi soir, le porte-parole de l'ambassade de Turquie en France, Engin Solakoglu, a précisé que "les relations bilatérales seront affectées sérieusement dans tous les domaines, et l'absence de la Turquie en tant que partenaire diplomatique surtout au Moyen-Orient sera sentie vivement en France". Et de poursuivre : "L'ambassadeur reste à Paris mais, si la loi est promulguée, il partira pour une bien longue durée.
"Honte à toi, France"
La colère turque s’est également manifestée dans la presse nationale ce mardi matin, aussi acerbe qu’unanime. Dans sa ligne de mire, le président français, accusé par les Turcs de faire un geste en direction des quelque 500 000 Français ayant des origines arméniennes à l'approche de l’élection présidentielle. Ainsi,
le quotidien à grand tirage "Hürriyet" barre sa une d'un grand "Il a massacré la démocratie", à côté d'une photo du président français. "Honte à toi, France !", titre en une le journal populaire "Vatan". Yeni Safak, un quotidien pro-gouvernement, s'enflamme, lui, contre "les petits calculs électoraux de Sarkozy [qui] ont conduit la France à commettre un grand crime contre l'humanité".
En revanche, sans surprise, le gouvernement arménien s'est quant à lui réjoui du vote français. "Ce jour restera gravé en lettres d'or non seulement dans l'Histoire de l'amitié entre les peuples arménien et français, mais aussi dans les annales de l'Histoire de la protection des droits de l'Homme dans le monde, et confortera les mécanismes existant de prévention des crimes contre l'humanité", a déclaré le ministre arménien des Affaires étrangères, Edouard Nalbandian.