logo

Inculpation inédite de deux putchistes militaires turcs

Pour la première fois, deux auteurs du coup d'État du 12 septembre 1980 en Turquie, âgés de 94 et 86 ans, ont été inculpés pour crimes contre l'État. Jusqu'en 2010, la Constitution turque protégeait l'armée d'éventuelles poursuites.

AFP - Le chef de la junte militaire turque de 1980, Kenan Evren, et un autre co-auteur encore vivant du coup d'Etat, ont été formellement inculpés pour crimes contre l'Etat, une première pour des putschistes en Turquie, a rapporté mardi l'agence Anatolie.

La réclusion criminelle à perpétuité est requise pour Evren et Tahsin Sahinkaya, le commandant de l'aviation de l'époque, respectivement âgés de 94 et 86 ans, et tous les deux en mauvaise santé.

Ces deux personnalités, qui faisaient partie des cinq généraux qui avaient pris le pouvoir, avaient été interrogées par des procureurs l'été dernier et un procureur d'Ankara a annoncé la semaine dernière avoir préparé un acte d'accusation contre eux, une première en Turquie.

Une Cour d'Ankara a validé cet acte d'accusation, ouvrant la voie à un procès dont la date n'a pas été fixée, selon Anatolie.

La possibilité de poursuivre les auteurs du coup d'Etat du 12 septembre 1980 a été ouverte en 2010 par des amendements constitutionnels approuvés par référendum.

Jusqu'alors, la Constitution turque rédigée sous l'influence des militaires et adoptée en 1982, comportait un article qui protégeait Kenan Evren et les auteurs du coup d'Etat d'éventuelles poursuites.

Des juristes cependant pensent qu'il y a prescription et affirment qu'une personne ne peut être jugée pour un crime qui n'était pas défini comme tel au moment des faits.

Le gouvernement islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan a fait adopter par référendum en 2010 des amendements à la Constitution réduisant l'influence politique de l'armée turque, qui dans le passé a chassé quatre gouvernements.

"Les diktats, les complots, sont une affaire du passé", grâce aux réformes mises en oeuvre par le gouvernement pour renforcer l'autorité civile, a commenté mardi M. Erdogan, lors d'un discours au Parlement.

L'inculpation d'Evren intervient à un moment où le conflit entre l'institution militaire, jadis intouchable, et le pouvoir civil connaît une nouvelle virulence avec l'arrestation la semaine dernière pour complot présumé contre le gouvernement d'un ancien chef de l'armée, le général Ilker Basbug.

Ce dernier a été placé en détention préventive dans une prison près d'Istanbul où des centaines d'autres offficiers d'active ou à la retraite sont incarcérés et jugés, accusés de complots contre le Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste) de M. Erdogan.

C'est aussi une situation inédite car aucun général de ce rang n'avait été jusqu'à présent détenu en Turquie où l'armée, qui se veut gardienne des principes de laïcité, a vu ces dernières années son rôle politique diminuer.

Le putsch de 1980, soutenu par les Etats-Unis, avait pour but de mettre fin aux affrontements qui opposaient quotidiennement militants de droite et gauche, plongeant la Turquie, pays membre de l'Otan, dans une atmosphère de chaos.

Le coup d'Etat fut initialement bien accueilli par la population, soulagée que l'ordre soit rétabli. Mais par la suite, les partis politiques furent interdits, des milliers de personnes torturées et plusieurs dizaines exécutées.

Evren, qui fut président jusqu'en 1989, n'a jamais regretté le coup d'Etat, et avait déclaré l'an dernier préférer se suicider plutôt que d'être jugé.

Mais dans des déclarations à un journal turc très récemment, il a affirmé qu'il ne voyait pas d'inconvénient à se présenter devant la justice afin de pouvoir se défendre.