Le Congrès national africain (ANC) fête ses 100 ans le 8 janvier. De nombreux chefs d’État ont été conviés pour célébrer l'événement à l’heure où, paradoxalement, le plus vieux mouvement de libération africain traverse une passe difficile.
L’usure du pouvoir pourrait-elle avoir raison de la domination sans partage qu’exerce l’ANC sur l’Afrique du Sud depuis près de 18 ans ? À l’heure où la formation politique célèbre son centenaire dimanche 8 janvier, la population sud-africaine semble se détourner peu à peu du parti qui a incarné la lutte contre l’apartheid et porté en son sein certains des plus grands héros de la nation.
Bien que crédité de plus de 65 % des voix lors des dernières élections législatives, en 2009, l’ANC paraît être aujourd’hui dans une situation plus incertaine que jamais. Malmené par des dissensions internes, secoué par des accusations de corruption et critiqué par la population pour son manque de combativité dans sa lutte contre les inégalités sociales, son centenaire pourrait bien ne pas être la grande fête populaire que ses cadres avaient espérée.
"La mythologie nationaliste de l’ANC reste ancrée dans la société sud-africaine"
"À dire vrai, la cohésion de l’ANC est mise à l’épreuve depuis son arrivée au pouvoir en 1994", rappelle Mamadou Diouf, historien et enseignant à l’université Columbia de New York. Celui-ci considère toutefois les problèmes rencontrés par le parti comme un signe encourageant pour l’avenir du pays. "Il est sain que le parti au pouvoir soit attaqué, qu’il connaisse des luttes internes et qu’il doive faire face à la diversification du paysage politique. Ce processus, couplé à l’émergence d’autres courants en son sein, s’inscrit dans l’évolution naturelle de toute société démocratique et l’enrichit", analyse-t-il.
Surtout, Mamadou Diouf estime que la diversification de la vie politique ne met pas en danger la société sud-africaine, "où, contrairement à d’autres pays du continent, la presse est libre et la société civile bien avancée".
Bien que l’hégémonie de l’ANC soit désormais contestée, Mamadou Diouf reste convaincu que le parti va continuer à dominer la vie politique au cours des prochaines années. "Je ne vois pas l’ANC perdre le pouvoir dans un futur proche, sauf crise majeure, car toute la mythologie nationaliste du parti reste ancrée dans la société sud-africaine."
Une économie vaillante mais une société très inégalitaire
Plus de 20 ans après l’abolition de l’apartheid, l’Afrique du Sud compte aujourd’hui parmi les pays émergents qui tentent de rivaliser avec les puissances occidentales. Aux côtés de la Chine, de la Russie, du Brésil et de l’Inde (pays regroupés sous l’acronyme "BRICS" , pour "Brasil, Russia, India, China, South Africa"), le pays entend jouer de ce nouveau statut pour s’octroyer un rôle géopolitique plus important.
Sur le plan économique, sa croissance soutenue, la plus importante du continent, a favorisé l’émergence d’une classe bourgeoise au sein de la population noire. Mais même la réussite de la Coupe du Monde de football, organisée dans le pays en 2010 et saluée par le monde entier, ne parvient pas à faire oublier les fortes disparités qui continuent de ronger sa société. "Le principal défi pour l’ANC, c’est de s’attaquer aux inégalités économiques et sociales, qui sont les causes d’une extraordinaire violence urbaine et de problèmes considérables dans les domaines de l’éducation et de la santé", explique Mamadou Diouf.
C’est dans ce contexte incertain que vont se tenir les célébrations du centenaire de l’ANC. Des dizaines de chefs d’État sont attendus dans la ville de Bloemfontein (centre), où le parti a été fondé le 8 janvier 1912. Devant des dizaines de milliers de sympathisants, l’actuel président Jacob Zuma doit rendre un vibrant hommage aux grandes figures de la lutte contre l’apartheid et célébrer l’unité du pays : parmi les invités figurent notamment Thabo Mbeki, son prédécesseur qu’il a écarté en 2008, et Desmond Tutu, prix Nobel de la paix, qui critique régulièrement l’ANC. Seul Nelson Mandela pourrait manquer à l’appel. Très affaibli, l’ancien président, lui aussi prix Nobel de la Paix, pourrait ne pas assister aux célébrations du centenaire de l'ANC. Parti qu'il dirigeait lorsqu'il renversât le dernier régime raciste au monde.