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"Les jurés populaires ne sont pas moins cléments que les magistrats"

Depuis le 1er janvier, des jurés populaires ou "citoyens assesseurs" sont appelés à siéger en correctionnelle. L'objectif affiché est de rapprocher la justice des citoyens. Les syndicats de magistrats dénoncent, eux, une démarche électoraliste.

Qui peut devenir citoyen assesseur ?

Tout citoyen français âgé de plus de 23 ans inscrit sur les listes électorales, excepté les personnes condamnées pour délit, et résidant dans la juridiction du tribunal de grande instance peut être amené à être citoyen assesseur. Il ne devra pas avoir été juré au cours des cinq années précédentes ou avoir exercé une profession incompatible avec celle de juré ( membre du gouvernement, parlementaire, magistrat, fonctionnaire de police, agent de l'administration pénitentière ou encore militaire). Les jurés siègent par demi-journées, pour une durée de 10 jours maximum dans l’année.

C’est la principale nouveauté du système judiciaire français en ce début d’année : l’introduction des jurés populaires au sein des tribunaux correctionnels. Deux "citoyens assesseurs" siègeront aux côtés de trois magistrats professionnels, en première instance et en appel, pour juger les délits les plus graves d'atteinte aux personnes, passibles de cinq à dix ans de prison (agressions sexuelles, vols avec violence, etc.), ce qui concernerait environ 40 000 délits par an, sur un total de 600 000.

Le dispositif va d'abord être expérimenté par la cour d'appel de Toulouse et celle de Dijon. Des "citoyens assesseurs" seront également présents dans les tribunaux d'application des peines des juridictions de ces deux villes. Si les résultats sont concluants, la mesure sera étendue à tous les tribunaux correctionnels de France dès 2014. Jusqu’à présent, les jurés populaires ne siégeaient que dans les cours d'assises - qui jugent les crimes - et les délits traités en correctionnelle l’étaient par des magistrats professionnels.

Lancée au printemps dernier par le président de la République suite à la mort de la jeune Laëtitia à Pornic (Loire-Atlantique), cette réforme entend "permettre aux citoyens de se réapproprier la justice". Suite à ce faits divers, Nicolas Sarkozy avait notamment réagi en évoquant des "dysfonctionnements graves" de la justice et des services de police ayant permis la remise en liberté du principal suspect dans cette affaire. "La justice est rendue au nom du peuple français, désormais elle sera rendue aussi par le peuple français", avait-il déclaré en septembre 2010.

Satisfaire l’opinion

Face à cette mesure, les magistrats ne cachent pas leur hostilité. Pour eux, elle remet en cause leur travail. “Le président Sarkozy ne cesse de reprocher aux magistrats d’être trop cléments envers les criminels”, indique Virginie Duval, secrétaire générale de l'Union syndicale des magistrats. Cette décision d’introduire des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels relève, selon elle, davantage d’une volonté de satisfaire l’opinion publique que d’améliorer le système judiciaire. Plus de quatre Français sur cinq estiment que les récidivistes et les criminels sexuels ne sont pas condamnés assez sévèrement, selon un sondage commandé par "Le Figaro" au printemps dernier.

Le gouvernement a tort de croire que les "citoyens assesseurs" seront plus sévères que les magistrats professionnels, estime pour sa part Matthieu Bonduelle, secrétaire général du syndicat de la magistrature. “Les jurés apporteront sans nul doute une nouvelle dimension car il est toujours intéressant de bénéficier d’un point de vue extérieur au système judiciaire, commente-t-il. Mais il n’y a aucune raison de croire qu’ils seront moins indulgents. Ils ne le sont en tous cas pas aux assises.”

Des délais plus long

Les magistrats s’élèvent également contre le coût de cette réforme. "L'introduction des jurés dans les tribunaux est estimée à environ 20 millions d'euros pour l'aménagement immobilier", précise Virginie Duval. Sans compter le dédommagement des assesseurs qui ont droit à une indemnité journalière d’audience de 78 euros. Le ministre de la Justice, Michel Mercier, a prévu pour cette réforme une enveloppe de 50 millions d'euros.

En outre, ce dispositif devrait engendrer un prolongement des débats et donc un engorgement des affaires. "Personne n’a réfléchi au temps supplémentaire nécessaire pour le traitement des dossiers dans un système judiciaire déjà saturé, voire au bord de l’asphyxie.”, fustige Matthieu Bonduelle. Selon lui, les jugements seront rendus “dans un délai bien plus long” avec les "citoyens assesseurs" que les “15-20 minutes” habituellement nécessaires aux magistrats professionnels. “Tout la réforme a été mal pensée, regrette-t-il, alors qu’en théorie, l’idée aurait pu être bonne."