Au début des années 1970, Georges Ibrahim Abdallah épouse la cause palestienne. Son engagement radical le mènera jusqu'à Paris, où il sera condamné pour complicité d'assassinat de deux diplomates. Récit d'une trajectoire chaotique.
Georges Ibrahim Abdallah. Au milieu des années 1980, son nom faisait la une des médias français. Aujourd'hui, ce ressortissant libanais âgé de 60 ans, incarcéré en France depuis 27 ans pour actes terroristes, est pratiquement inconnu du grand public. Seuls les milieux propalestiniens antisionistes et d'extrêmes gauches français se soucient encore du sort de celui qu’ils considèrent comme une légende vivante de la "lutte anti-impérialiste". Ils n’ont cessé de réclamer sa libération, à l’instar de ses proches qui résident au Liban.
Fils d’un militaire chrétien
Condamné en 1987 à la réclusion criminelle à perpétuité pour complicité d'assassinat de deux diplomates, l'Américain Charles Robert Day et l'Israélien Yacov Barsimantov, abattus à Paris cinq ans plut tôt, Georges Ibrahim Abdallah aurait pu, légalement, être libéré depuis 1999. Mais la justice française, qui le considère encore comme un "activiste résolu et implacable",
s'y est toujours opposé.
Ce fils d’un militaire chrétien maronite du Nord-Liban, élevé à la dure au sein d’une fratrie de 9 enfants, ne semblait pourtant pas prédestiné à épouser aussi radicalement la cause palestinienne, à contre-courant de la large majorité de sa communauté religieuse, et de finir devant la Cour d’assises en France. Décrit tantôt comme " timide, poli et travailleur" par des proches de sa famille,
tantôt comme "racé, intelligent et cultivé" par l’un de ses anciens avocats, ce professeur des collèges commence à fréquenter les milieux propalestiniens et nationalistes arabes à Beyrouth, où il est muté avec l’un de ses frères au début des années 1970.
"Frapper l'ennemi partout où il se trouve"
Quelques années plus tard, Georges Ibrahim Abdallah s’engage en politique dans les rangs d’une formation nationaliste pansyrienne, avant de rejoindre le Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP). Un mouvement marxiste-léniniste radical qui prône la lutte armée contre l’État hébreu. C’est au Sud-Liban, où le conflit israélo-palestinien s’est exporté, que le jeune milicien du FPLP formé à la guérilla accompli ses premiers faits d’armes.
Lui est attribué, un an plus tard, la fondation, avec ses frères, des Factions armées révolutionnaires libanaises (FARL), une organisation qui compte alors dans ses rangs des militants marxistes originaires de Koubeiyat, un village niché près de la frontière avec la Syrie où ont grandi les Abdallah. "Nous avons décidé de mener des actions à l'étranger, notamment en Europe, plutôt qu’au Liban, conformément au slogan : frapper l'ennemi partout où il se trouve", confie un ancien membre des FARL à Aljazeera.net,
dans un article publié en 2009.
Dans la ligne de mire de l’organisation se trouvent les Israéliens et les Américains. "Georges a vite compris que le sionisme, soutenu par l’Occident et les États-Unis en tête, est le principal responsable des grands malheurs du peuple libanais", explique son frère Joseph, également cité par Aljazeera.net dans ce même article. C’est dans ce contexte que sont pris pour cibles les deux diplomates américain et israélien à Paris, le premier abattu au mois de janvier 1982, le second en avril de la même année. Les FARL revendiqueront ensuite plusieurs opérations sur le sol européen, dont un attentat commis le 26 mars 1984 à Strasbourg, qui manque de tuer le consul américain Robert Homme. Quelques jours plus tard, ils mitraillent les locaux de la mission commerciale israélienne à Paris. Un mois plutôt, l’organisation s’était déclarée responsable
de l’assassinat à Rome de l’amiral américain Leamon Hunt.
Vrai-faux passeport algérien
Il faut attendre le 24 octobre 1984 pour que se produise l’arrestation rocambolesque de l’activiste libanais. "Alors qu’il résidait à Genève, Abdallah se rend à Lyon pour récupérer un dépôt de garantie d’un appartement", confie à FRANCE 24 Yves Bonnet, ancien directeur de la Direction de la surveillance du territoire (DST) entre 1982 et 1985. "Aussi incroyable que cela puisse paraître, Abdallah s’est rendu de lui-même dans un commissariat de police pour se protéger des agents du Mossad qui le pistait ce jour-là, selon lui". Au cours des vérifications d’usage, les policiers français découvrent qu’il est porteur d’un vrai-faux passeport algérien au nom d’Abdelkader Saadi et procèdent à son arrestation.
À ce moment, la DST ignore la véritable identité du faux ressortissant algérien. "Nous avons fini par le démasquer avec l’aide des services algériens et de quelques amis palestiniens qui entretenaient de bonnes relations avec le contre-espionnage français", poursuit Bonnet. Pour Abdallah, alias "Alex" auprès de ses contacts français, c’est le début de la fin. "Nous savions qu’il était un membre important des FARL, car il était traqué par plusieurs services de renseignements européens d’autant plus qu’il fréquentait des mouvements radicaux violents comme Action directe en France et les Brigades rouges en Italie", indique l’ancien responsable. Une note émanant de son service datée du 7 avril 1982 présente d’ailleurs Abdallah comme un proche du terroriste international Carlos, l’ennemi public numéro un de la France à l’époque.
Abdallah ne sera jugé que deux ans plus tard, en juillet 1986. "Je ne suis pas un criminel, je suis un combattant", répondra-t-il sèchement aux magistrats qui le condamnent à 4 ans de prison pour usage de faux papiers et détention d’armes. Entre-temps un accord conclu en mars 1985 par Yves Bonnet pour échanger Georges Ibrahim Abdallah contre le diplomate français Gilles Peyrolles, kidnappé en mars de la même année au Liban par les FARL, n’est pas honoré par le gouvernement français du fait de la découverte d’éléments plus compromettants pour l’accusé (cf Georges Ibrahim Abdallah, terroriste sans pardon).
Complicité d’assassinats
"Il a fait trembler les Français",
titre le Nouvel Observateur à quelques jours de l’ouverture, le 23 février 1987, de son procès
sous très haute sécurité. En effet, la tension qui règne alors à Paris est vive. En décembre 1985, en mars et septembre 1986, trois vagues terroristes sans précédent ont ensanglanté la capitale française, faisant des dizaines de morts et plus de 300 blessés.
Ces attentats, dont un qui fait un mort et 51 blessés à l'intérieur même de la préfecture de police de Paris, sont revendiqués par le Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes (CSPPA) qui exige la libération de plusieurs détenus dont Ibrahim Georges Abdallah.
La piste des FARL, considérés un temps comme les véritables acteurs du CSPPA,
est finalement écartée par la DST. Mais aux yeux de l’opinion, le responsable de cette violence n’est autre que Georges Ibrahim Abdallah.
Dans un sondage CSA-le Parisien publié le 4 mars 1987, 78 % des Français approuvent la condamnation d'Abdallah à la perpétuité et ce bien que l'avocat général, sans doute par crainte que d’autres attentats soient commis en représailles, eut réclamé une peine plus clémente. "Je crois, dans l'intérêt de tous, pouvoir vous demander, vous conjurer, vous supplier de ne pas prononcer à l'encontre de l'accusé une peine de réclusion criminelle supérieure à dix ans ",
déclarait-il lors de son réquisitoire.
La sévérité du verdict est dénoncée par l’avocat du terroriste libanais, Me Jacques Vergès, qui en rejette la responsabilité sur les États-Unis, partie civile au procès. "Washington a gagné, sous les applaudissements de Tel-Aviv (...). Le procès Abdallah a été de bout en bout piloté pour et par une puissance étrangère", écrira Claude Cabanes, l’éditorialiste du quotidien communiste l'Humanité. Depuis, Georges Ibrahim Abdallah est en prison, malgré sept demandes de mise en liberté conditionnelle.