Malgré la fin de la période de sûreté assortie à sa peine en 1999, Georges Ibrahim Abdallah, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour acte terroriste en 1987, est toujours derrière les barreaux.
Une semaine jour pour jour après une nouvelle condamnation du terroriste Carlos par la justice française, une autre figure de l’activisme radical pro-palestinien des années 1980 a refait parler d'elle. Par procuration.
Le 22 décembre dernier, plusieurs dizaines de manifestants s’étaient rassemblés devant le ministère de la Justice, à Paris, pour réclamer la libération de Georges Ibrahim Abdallah, l’ex-dirigeant des Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL) détenu au centre pénitentiaire de Lannemezan, dans le sud-ouest de la France.
Ressortissant libanais âgé de 60 ans, Georges Ibrahim Abdallah est incarcéré en France depuis 1984, alors que la période de sûreté assortie à sa peine a pris fin en 1999. Au terme d’un procès
très médiatisé, il avait été condamné en 1987 à la réclusion criminelle à perpétuité pour complicité d'assassinat de l’attaché militaire de l'ambassade américaine Charles Ray et du diplomate israélien Yacov Barsimentov, abattus à Paris en 1982, ainsi que pour complicité dans la tentative d'assassinat de Robert O. Homme, consul américain à Strasbourg. Des crimes revendiqués par les FARL et commis en réponse au conflit israélo-palestinien.
"Qu’on le renvoie chez lui au Liban"
Loin d’appartenir à son comité de soutien, Yves Bonnet, préfet honoraire, ancien directeur de la Direction de la surveillance du territoire (DST) et fondateur du Centre international de recherches et d’études sur le terrorisme (CIRET), a contribué à la traque de l’homme avant son arrestation à Lyon en 1984. Interrogé par FRANCE 24, l’ex-patron du contre-espionnage français (1982 à 1985) se prononce pourtant en faveur de sa libération. "Cette injustice a assez duré, elle a même dépassé les limites du raisonnable, plus rien ne justifie son incarcération, qu’on le mette dans un avion et qu’on le renvoie chez lui au Liban, où les autorités sont disposées à l’accueillir".
Jusqu’à ce jour, sept demandes de libération conditionnelle ont été déposées par l'ancien professeur du Nord-Liban devenu "combattant communiste révolutionnaire et antisioniste" tel qu’il se définit lui-même.
Mais en vain. Si en novembre 2003, la juridiction régionale de libération conditionnelle de Pau autorise sa libération, le Garde des Sceaux, Dominique Perben, demande alors au parquet
de faire appel de cette décision, jugeant le cas du Libanais "extrêmement grave". Il sera entendu et Abdallah restera en prison.
Sa dernière requête en date, en mai 2009,
a été rejetée par la cour d'appel de Paris qui a argué que le détenu, un "activiste résolu et implacable", risquait de reprendre son combat révolutionnaire en cas d'expulsion vers le Liban. Elle s’est ainsi appuyée sur la loi sur la rétention de sûreté promulguée en 2008 qui vise à maintenir enfermés les prisonniers qui, "à l’issue d’un examen de leur situation intervenant en fin de peine", présentent un risque élevé de récidive. Contacté par FRANCE 24, le ministère de la Justice n’a pas souhaité commenter "des décisions de justice émanant de juges indépendants".
"Un otage du gouvernement français"
Les proches d’Abdallah et son comité de soutien composé de militants anti-impérialistes, de marxistes et d’antisionistes n’ont eu de cesse de dénoncer vigoureusement un acharnement judiciaire contre "un otage du gouvernement français", qu’ils n’hésitent pas à comparer à un célèbre prisonnier politique, le Sud-Africain Nelson Mandela.
De son côté, l’avocat d’Abdallah, Me Jacques Vergès, dénonce l’ingérence des États-Unis dans l’affaire. Partie civile au procès de 1986, le gouvernement américain opposerait à la justice française, selon l’avocat, un "veto intolérable" à la libération de son client. En 2007, Me Vergès avait d’ailleurs conclu une plaidoirie en demandant à la justice française "de signifier à nos condescendants amis américains que la France n’est pas une fille soumise, en un mot une putain". Le 22 décembre dernier, place Vendôme, les manifestants usaient du même argument, scandant en cœur "Justice française à la botte des sionistes et des Américains!".
Yves Bonnet estime d'ailleurs que Washington et Tel-Aviv militent encore pour que l’ex-dirigeant des FARL ne recouvre pas la liberté. "La France a subi tout au long de cette affaire d’énormes pressions diplomatiques pour que celui qui a assassiné non pas des diplomates mais en réalité un agent de la CIA et un membre du Mossad (services secrets israéliens) reste en prison", précise-t-il.
Le Hezbollah, le parti chiite qui domine actuellement la scène politique du pays du Cèdre, appelle fréquemment Paris à libérer le ressortissant libanais, et Beyrouth a déjà réclamé "un de ses fils opprimés".
"La France n’a pas tenu sa parole"
À la fin des années 1990, Yves Bonnet s’est personnellement rendu au Syndicat de la magistrature pour plaider la cause d’un homme qui doit le "maudire" du fond de sa cellule. "J’ai été reçu par quatre magistrats qui m’ont prêté une oreille attentive avant de m’éconduire poliment, regrette-t-il. Ils m’ont expliqué qu’une prétendue conversion à l’islam de Georges Ibrahim Abdallah avait fait de ce chrétien un dangereux propagandiste islamiste, ce qui rendait sa libération impossible".
L’ex-directeur de la DST est d’autant plus "mal à l’aise" qu’il avait obtenu, en 1985, un accord pour échanger Georges Ibrahim Abdallah contre le diplomate français Gilles Peyrolles, kidnappé en mars de la même année au Liban par les FARL. Le jeune conseiller culturel est finalement libéré début avril contre la promesse d'une expulsion vers l'Algérie. "L’otage a été libéré, mais Abdallah est resté en prison. On s’est conduit comme des voyous, la France n’a pas tenu parole, bien que j’étais pour ma part, personnellement disposé à la tenir", conclut-il.
Dans un article publié par le Figaro en janvier 2011, Georges Malbrunot, journaliste spécialiste du Moyen-Orient écrivait que certains défenseurs de Georges Ibrahim Abdallah avaient adressé des mises en garde au gouvernement français, faisant craindre d'éventuels enlèvements de ses ressortissants à Beyrouth. "L'affaire Clotilde Reiss a montré à certains Libanais qu'il était possible de récupérer un détenu en pratiquant le chantage", prévenait un journaliste proche du Hezbollah, cité dans l’article.