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Le 17 décembre 2010, un marchand ambulant se voyait confisquer sa marchandise par la police. Quelques heures après, Mohamed Bouazizi s'immolait devant la préfecture de Sidi Bouzid. L'événement allait déclencher la révolte dans le pays.

AFP - Un vendeur ambulant, une policière, une altercation. C'est ainsi que commence le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid la révolution tunisienne, qui déclenchera ensuite "le printemps arabe". Les protagonistes de cette journée historique, eux, ont été broyés.

Le 17 décembre en fin de matinée, une dispute oppose Mohamed Bouazizi, 26 ans, vendeur ambulant non autorisé, et Fayda Hamdi, agent municipal de 45 ans, qui lui confisque sa marchandise. Deux heures plus tard, le jeune homme s'immole par le feu devant la préfecture de Sidi Bouzid, et les premières manifestations commencent.

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"Le premier acquis de cette révolution c'est la disparition de la peur"

Aujourd'hui, les mémoires s'opposent et se déchirent dans cette ville du centre-ouest du pays toujours ravagée par le chômage et la pauvreté qui ont déclenché la révolution il y a un an.

Fayda Hamdi a repris le travail en octobre à la municipalité de Sidi Bouzid. Assise dans son bureau sans fenêtres, où s'engouffrent les courants d'air glacés, elle dit: "je ne fais rien, comme tout le monde ici". Le bâtiment a été mis à sac après l'annonce des résultats des élections d'une assemblée constituante du 23 octobre, et les agents municipaux ne vont plus sur le terrain.

Accusée d'avoir "giflé" Bouazizi --une version que plus personne n'évoque aujourd'hui à Sidi Bouzid-- Mme Hamdi a passé trois mois et demi en prison avant de bénéficier d'un non lieu en avril, après la révolution.

"J'ai été arrêtée le 28 décembre. J'ai servi de bouc émissaire, le pouvoir voulait calmer la colère des gens. Mais ça n'a rien calmé, et tout le monde m'a oubliée dans ma prison de Gafsa", raconte-t-elle.

Beau visage fatigué encadré d'un voile gris, yeux noirs perçants, Fayda Hamdi a toujours deux choses dans son portefeuille: le non-lieu de la justice en sa faveur, et une photo d'elle en uniforme. "J'aimais mon métier, et j'ai été punie parce que je n'ai fait qu'appliquer la loi", insiste cette femme qui avait la réputation d'être une fonctionnaire dure et intègre.

Elle évite de parler de Mohamed Bouazizi, dit juste qu'elle était "sous le choc" lorsqu'elle a appris son immolation.

Son supérieur intervient, en colère. "Elle n'y est pour rien s'il s'est brûlé! C'est une histoire incorrecte qui a été écrite, une pièce de théâtre", lance Mohamed Salah Missaoudi.

Mme Hamdi a décidé de reprendre ses fonctions à Sidi Bouzid, malgré d'autres propositions. "Si j'avais changé d'affectation, on aurait dit que j'avais quelque chose à me reprocher".

Car malgré ses 100.000 habitants, Sidi Bouzid est une petite ville, traversée par le qu'en-dira-t-on et la rumeur.

La famille Bouazizi n'y a pas échappé et a fini par quitter la ville.

"Trop de choses fausses ont été dites. On a raconté que la maman de Bouazizi avait touché de l'argent, qu'elle profitait de la mort de son fils. Et lui, on a voulu salir sa réputation", soupire Mohamed Amri, un ami du jeune vendeur défunt.

Des gens ont prétendu qu'il n'avait jamais voulu s'immoler, qu'il était ivre au moment des faits. Il se redresse, comme s'il avait été giflé: "c'est faux! C'était un garçon sérieux, correct, qui n'avait qu'un rêve, travailler, s'acheter une voiture, construire une maison".

Membre du "festival de la révolution du 17 décembre", qui s'apprête à commémorer le soulèvement, Youssef Jleli est plus cynique.

"Est-ce que Bouazizi voulait vraiment se brûler ? Seuls des psychiatres auraient pu répondre. Est-ce que Fayda a fait de la prison pour rien ? sans doute. Nous, ce qui nous intéresse, ce sont les conséquences du 17 décembre".

Depuis quelques jours, la photo de Mohamed Bouazizi a été raccrochée au fronton de la wilaya, la préfecture devant laquelle il s'est transformé en torche humaine. Sa mère a dédié au "peuple tunisien" le Prix Sakharov reçu par son fils à titre posthume.

Au café, ses amis entretiennent le souvenir du jeune homme.

"Quand on jouait, il abattait toujours ses cartes sur la table avec force et s'exclamait: vous allez voir, je vais tout faire péter! Aujourd'hui, on en rit..."