En refusant une modification du traité de l’UE, le Premier ministre britannique David Cameron se retrouve pris en étau entre les eurosceptiques de son gouvernement et les plans du couple franco-allemand pour sauver la zone euro.
"Comportez-vous comme un bouledogue", aurait enjoint un député conservateur britannique à son Premier ministre. Au sommet européen de Bruxelles, David Cameron a suivi ce conseil à la lettre, affichant une ténacité digne dudit canidé, opposant son veto à toute modification du traité de l’Union européenne. Quitte à se retrouver seul contre tous, notamment face à Paris et Berlin, ses alliés traditionnels.
Le vice-Premier ministre britannique Nick Clegg a estimé dimanche que son pays risquait d'être "isolé et marginalisé" dans l'Union européenne après l'opposition du Premier ministre conservateur David Cameron à un changement de traité à Bruxelles vendredi.
"Je suis amèrement déçu par le résultat du sommet de cette semaine parce que je pense qu'il y a maintenant un vrai danger de voir le Royaume-Uni isolé et marginalisé dans l'Union européenne", a déclaré Nick Clegg, un libéral-démocrate, pro-européen, lors d'une émission télévisée sur la BBC.
"Il s’agit d’une décision difficile mais bonne", a déclaré David Cameron au sortir de la réunion dans la nuit de jeudi à vendredi. "J'ai dû poursuivre obstinément ce qui relevait de l'intérêt national britannique. Ce n'est pas facile d'être dans une pièce où des gens vous pressent de signer quelque chose en vous disant que c'est dans votre intérêt. Il est parfois juste de dire : “Je ne peux pas faire ça, ce n'est pas dans notre intérêt. Je ne veux pas présenter cela à mon Parlement parce que je ne peux pas le recommander en toute conscience”", a-t-il poursuivi, cité par Le Figaro.
Le sommet des 8 et 9 décembre visant à renforcer la discipline budgétaire dans la zone euro a en effet viré au bras de fer entre Londres d'un côté et Paris et Berlin de l'autre. Après une dizaine d’heures de négociations, les chefs d’État et de gouvernement ne sont pas parvenus à convaincre David Cameron d’accepter une modification du traité de Lisbonne pour réformer la zone euro. L’approbation des 27 étant nécessaire, un texte restreint a été signé par les 17 membres de la zone euro, rejoints par au moins six des autres membres de l’Union européenne.
Sous la pression des eurosceptiques de son gouvernement de coalition – de plus en plus fragilisé par des dissensions internes –, David Cameron réclamait notamment, en échange de son accord sur une modification du traité de Lisbonne, de soustraire la City, le poumon économique britannique, au mécanisme paneuropéen de surveillance des marchés. Mis en place entre 2007 et 2008 au moment de la crise des subprimes, ce mécanisme a pour objectif d’assurer un minimum de surveillance des marchés pour éviter les dérives.
Exigences "inacceptables"
Ces exigences ont, selon le président français Nicolas Sarkozy, été jugées "inacceptables" par "tous les pays européens". "Nous considérons […] qu’une partie des ennuis du monde vient de la dérégulation du service financier", a-t-il déclaré. "Si nous acceptions une dérogation pour le Royaume-Uni, c’était la remise en cause à nos yeux d’une bonne partie du travail qui a été fait au service d’une régulation de la finance, régulation bien nécessaire", a poursuivi le chef de l’État français, faisant référence aux travaux de l’Union européenne et du G20 contre la crise, basés sur une meilleure surveillance des transactions financières européennes.
À Bruxelles, l’attitude du Premier ministre n’a pas fait beaucoup d’émules. "Ce sommet s’est mal passé pour Cameron, estime Christophe Robeet, envoyé spécial de FRANCE 24 à Bruxelles. Nous avons vécu un tournant : la trêve entre Bruxelles et Londres a pris fin cette nuit. Cameron a mal géré les négociations, il a tout perdu et il est désormais très isolé. Quelques eurosceptiques britanniques vont l’applaudir, mais pour la grande majorité des dirigeants de l’Union européenne, il est apparu comme un piètre négociateur et un piètre stratège".
De fait, en rejetant la modification du traité de Lisbonne prôné par Berlin et Paris, Cameron exclut le Royaume-Uni de toutes discussions et de toutes décisions cruciales sur des questions financières qui pourraient, à terme, affecter la City. "C’est la fin de la politique pragmatique jusqu’alors pratiquée par le Royaume-Uni, qui préférait être impliqué dans des processus auxquels il adhérait moyennement pour pouvoir influencer les décisions de l’intérieur, analyse Caroline de Camaret, spécialiste des questions européennes à FRANCE 24. Aujourd’hui, Cameron repart très isolé, mais sa capacité de nuisance reste intacte : l’accord entre les 17 pays de la zone euro est un peu faible juridiquement, Cameron pourrait exploiter ces faiblesses".
L’accord entre les 17 pays de la zone euro, auquel se sont déjà joints six autres membres de l’UE, met en place une "règle d’or" en matière de déficit dans tous les pays et la mise en place de sanctions quasi-automatiques en cas de non respect. Le texte prévoit le recours à la Commission européenne et à la Cour européenne de justice pour contrôler les déficits budgétaires. "Or, le Royaume-Uni, qui finance ces institutions au même titre que les autres membres de l’Union européenne, pourrait refuser qu’elles servent à un accord qu’il n’a pas ratifié et traîner cet accord devant la justice européenne, poursuit Caroline de Camaret. Cameron est peut-etre seul, mais il a encore le pouvoir de faire peser cet épée de Damoclès au-dessus de la tête des Européens".