
Au lendemain des résultats des législatives, plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Moscou pour demander le départ du Premier ministre russe, Vladimir Poutine. Les forces de l'ordre ont procédé à quelque 300 interpellations.
AFP - Plusieurs milliers de personnes ont défilé lundi à Moscou pour demander le départ de Vladimir Poutine, au pouvoir depuis 12 ans, après le net recul enregistré par son parti, Russie unie, aux élections législatives organisées dimanche.
Entre 3.000 et 5.000 manifestants se sont rassemblés dans la capitale aux cris de “Révolution” et de “La Russie sans Poutine” et se sont heurtés aux forces de l’ordre, qui ont procédé à 300 interpellations. Les protestataires entendaient se rendre jusqu’au Kremlin mais en ont été empêchés par la police.
Un des leader du mouvement d'opposition libérale russe Solidarnost a été condamné mardi à Moscou à 15 jours de prison après avoir été interpellé la veille lors d'une manifestation dénonçant les résultats des législatives de dimanche, a indiqué l'agence Interfax.
Ilia Iachine, arrêté lundi avec 300 autres manifestants, dont d'autres leaders d'opposition, a été reconnu coupable de "refus d'obtempérer aux injonctions de représentants de la force publique" et condamné à 15 jours de prison par un tribunal de Moscou, selon la même source.
Ce rassemblement, l’un des plus importants organisés par l’opposition russe, confirme la lassitude exprimée dans les urnes par les électeurs dimanche, au moment où Poutine entend briguer un nouveau mandat présidentiel en mars.
Le parti du Premier ministre a remporté 49,5% des suffrages - contre 64% il y a quatre ans -, soit 238 des 450 sièges que compte la Douma, selon des résultats quasi définitifs.
Le mouvement, qui domine la vie politique russe depuis une décennie, avait obtenu 315 sièges lors de la précédente élection. Il s’agit du plus mauvais résultat électoral de Vladimir Poutine depuis son arrivée au pouvoir en 1999.
Le président Dmitri Medvedev a jugé que le scrutin avait été “équitable, honnête et démocratique” mais les observateurs européens ont fait état de bourrage d’urnes.
La Maison blanche a émis, elle, de “sérieuses inquiétudes” sur la manière dont ces législatives se sont déroulées et l’ancien dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev a appelé Poutine à ne pas se porter candidat à la présidentielle.
“Nous n’avons pas de véritable démocratie et nous n’en aurons pas si le gouvernement a peur du peuple, s’il a peur de dire les choses ouvertement”, a dit Gorbatchev comparant Russie unie à l’ancien Parti communiste soviétique.
"Une élection sale"
Si Russie unie a perdu la majorité des deux tiers nécessaires aux réformes constitutionnelles, Vladimir Poutine a souligné lundi que la majorité simple suffisait pour adopter la plupart des lois et Dmitri Medvedev s’est dit prêt à des alliances de circonstances sur certains textes.
“Russie unie a joué un rôle significatif dans la fondation de notre stabilité politique ces dernières années, donc son succès aux élections est important, à mes yeux, pas seulement pour le gouvernement mais pour le pays tout entier », a déclaré Poutine.
Medvedev a noté que les électeurs avaient envoyé « un signal aux autorités » mais que certains mauvais résultats étaient de la responsabilité des dirigeants locaux.
« Russie unie n’a pas eu de bons résultats dans plusieurs régions, non parce que les gens n’ont pas confiance dans le parti (...) mais simplement parce que les fonctionnaires locaux les énervent. Ils se disent ‘si c’est ça Russie unie, hors de question que je vote pour eux’ », a dit le président russe.
Le taux de participation a atteint 60,2%, en baisse de 3% par rapport à 2007 et de 5% par comparaison avec 2003.
Le Parti communiste, principal bénéficiaire du recul de Russie unie, a obtenu 92 sièges (19,1% des voix) contre 57 en 2007, suivi de Russie juste (13,2%, 64 sièges) et des nationalistes du LDPR (11,7%, 56 sièges).
Le Parti communiste doit une partie de sa progression au vote de contestation contre Russie unie, les communistes semblant représenter le seul parti d’opposition crédible.
Son dirigeant, Guennadi Ziouganov, a fait état de fraudes massives dans plusieurs régions et affirmé que le pays n’avait « jamais connu une élection aussi sale ».
La campagne électorale a été marquée par « une compétition politique limitée et un manque d’impartialité », ont rapporté les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
Le décompte des voix a été caractérisé par des violations fréquentes de la procédure, avec notamment des indications de bourrage d’urnes, écrivent-ils dans leur rapport préliminaire.
Le président Medvedev, dont la position pourrait être fragilisée après ce revers électoral, a rejeté les accusations de fraude électorale lancées par l’opposition.
Poutine conserve son statut de favori
Si Vladimir Poutine conserve son statut de grand favori de l’élection présidentielle de mars, les résultats de dimanche sont le signe d’un certain déclin de son aura. ( )
De nombreux électeurs critiquent la corruption endémique et s’inquiètent de l’écart grandissant entre les classes aisées et défavorisées en Russie.
“De nombreux Russes ont voté contre le système et Poutine est à la tête de ce système”, souligne Stanislav Kucher, chroniqueur à la radio Kommersant.
“Ces élections sont sans précédent parce qu’elles se sont déroulées sur fond d’effondrement de la confiance dans Poutine, Medvedev et le parti au pouvoir”, renchérit Vladimir Rijkov, membre de l’opposition libérale.
Il prédit que l’élection présidentielle de mars tournera “à la crise politique de grande ampleur en raison de la déception, de la frustration et du désenchantement, avec un vote de protestation encore plus fort”.
Vladimir Poutine reste néanmoins, et de loin, la personnalité politique la plus appréciée. L’issue du scrutin présidentiel de mars ne fait guère de doute et le futur chef de l’Etat a fait savoir en septembre qu’il céderait alors la tête du gouvernement au président sortant Dmitri Medvedev.
Beaucoup d’électeurs redoutent que le retour programmé de Poutine au Kremlin ne soit synonyme de stagnation économique et politique. “Il a créé un système dans lequel lui seul peut être président, un système où lui seul peut diriger”, estime Grigori Iavlinski, fondateur du parti Iabloko.