New Delhi menace de procéder au tri des contenus publiés sur Google, Facebook et consorts si ces derniers refusaient de le faire eux-mêmes. Les internautes indiens crient à la censure.
Pour justifier sa demande de contrôle sur certains services Internet, le gouvernement indien a appelé la famille Gandhi à la rescousse. Images compromettantes de Sonia Gandhi publiées sur le Web à l’appui, le ministre indien des Télécommunications, Kapil Sibal, a indiqué ce mardi 6 décembre qu’il avait demandé à Google, Facebook et autres géants américains de la Toile de trier tout ce que leurs utilisateurs y avaient publié. La veille, il avait déjà priés YouTube, Facebook ou Flickr (le service de partage de photos de Yahoo!) de contrôler a priori tous les contenus "blasphématoires".
Bien que les autorités indiennes soient réellement sensibles aux représentations de la famille Gandhi, considérée comme l’un des socles de la démocratie nationale, le but de M. Sibal est, avant tout, d'obtenir la disparition des messages ou des images susceptibles d'“envenimer les tensions” culturelles et religieuses dans le pays.
En des termes diplomatiques, les groupes américains mis en demeure de faire le grand cyber-ménage ont expliqué au gouvernement qu’ils ne pourraient s'exécuter. Dans un communiqué publié ce mardi, Facebook a ainsi précisé “comprendre l’intérêt pour les autorités indiennes de réduire le contenu abusif disponible en ligne et d’être engagés à continuer le débat sur cette question”. Une manière polie de rejeter l’offre de surveillance du Web du ministre indien des Télécommunications.
Absurdité
En Inde, la demande a suscité un tollé général. Moins policés que le service communication de Facebook, les internautes indiens actifs sur les réseaux sociaux ont descendu en flamme la proposition du gouvernement. "Contrôler a priori est impossible à mettre en œuvre, il n’existe pas d’algorithme permettant de décider ce qui est ou non blasphématoire”, s’est emporté, mardi, Vijuay Mukhi, un expert indien en sécurité Internet.
Depuis sa requête, M. Sibal est devenu une star sur Twitter. #IdiotKapilSibal est l’un des mots-clés les plus utilisés sur le réseau social. “Édit du pape Sibal Ier, en 1440 : “Comment ? Gutenberg a inventé l’imprimerie ? Je veux que l’Église relise chaque mot de chaque livre qui sera imprimé”, se moque ainsi @krishashok, un blogueur et humoriste indien sur Twitter afin de souligner l’absurdité de la proposition gouvernementale.
D’autres intervenants sur les réseaux sociaux pensent que les autorités ont intentionnellement demandé l’impossible à Facebook, Google et consorts. Leur refus d’obtempérer étant joué d’avance, le gouvernement peut ainsi s’appuyer sur ce soi-disant manque de coopération pour légitimer sa propre intervention sur les contenus Web qu'il juge inconvenant. Mardi, M. Sibal a affirmé que “le devoir du gouvernement était dorénavant de prendre lui-même toutes les mesures nécessaires pour éviter que des contenus aussi dangereux circulent sur Internet”.
Cet épisode témoigne de la méfiance grandissante de New Delhi à l'égard du Net. Dans son dernier rapport annuel, l’ONG américaine de défense de la liberté d’expression sur Internet Freedom’s House, l’Inde a été qualifié de pays “relativement libre”. Cependant, l’association note que la loi sur les technologies de l’information votée au lendemain des attaques terroristes de Bombay en 2008 permet aux autorités de mieux contrôler ce qui se dit sur la Toile. Une source d’inquiétude pour les quelque 100 millions d’internautes indiens qui, jusqu’à présent, pouvaient se targuer d’être l’un des seuls pays d’Asie à ne pas connaître la censure d’Internet.