Monté à partir d'archives de la télévision suédoise, le documentaire "The Black Power Mixtape 1967-1975", qui sort ce mercredi en France, revient sur l'histoire du célèbre mouvement afro-américain des droits civiques. Entretien avec son réalisateur.
C’est un chapitre de l’histoire des États-Unis auquel peu de cinéastes américains se sont frottés. Le documentariste scandinave Göran Hugo Olsson, lui, l’a fait : à partir de bandes exhumées de la télévision suédoise, il ressuscite le mouvement Black Power sur grand écran.
Son film, “The Black Power Mixtape 1967-1975”, dont la sortie est prévue mercredi 16 novembre en France, rassemble plusieurs entretiens inédits que des grands noms de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis (Stokely Carmichael, Angela Davis, etc.) ont accordé, à l’époque, à des journalistes suédois.
À ces images d’archives viennent se greffer, en voix off, les témoignages d’artistes afro-américains d’aujourd’hui (la poétesse Sonia Sanchez, les musiciens Erykah Badu et Questlove, etc.), héritiers revendiqués du mouvement dont les commentaires enrichissent une base documentaire qui aurait gagné à être mieux replacée dans son contexte.
Petite mise au point avec Göran Hugo Olsson qui revient, pour France24.com, sur un mouvement politique majeur dont l’onde de choc se fait aujourd’hui encore ressentir. Accession de Barack Obama à la Maison Blanche, printemps arabe, résurgence de la xénophobie en Europe…
En 2009 déjà, vous signiez "Am I Black Enough for You?", un documentaire sur la légende de la soul music Billy Paul. D’où vous vient cet intérêt pour la culture africaine-américaine ?
Göran Hugo Olsson : La Suède dans laquelle j’ai grandi manifestait beaucoup d’intérêt pour tout ce qui se passait aux États-Unis. Nous adorions la culture et la société américaine mais, comme les Français, nous aimions aussi en pointer les injustices : "Tout le monde n’est pas libre chez vous ! Comment pouvez-vous vous considérer comme un grand pays quand on voit ce qui s’y passe parfois.”
J’aimerais toutefois préciser que mon film n’est pas un documentaire sur le Black Power mais sur la manière dont les Suédois percevaient ce mouvement. Et ce parti pris semble bien fonctionner auprès du public américain parce que c’est un point de vue nouveau. Si un Américain avait fait ce genre de documentaire, les gens, là-bas, se seraient demandé : "Qui a filmé cela ? Pourquoi a-t-il adopté cette démarche ?" Je pense qu’ils apprécient le fait que ce soit réalisé par un étranger.
Comment expliquez-vous que des journalistes suédois aient pu se pencher sur un pan de l’histoire des États-Unis que les Américains eux-mêmes peinent à traiter ?
G. H. O. : Les journalistes suédois que l’on voit dans le film considèrent le Black Power dans un contexte général. Ils le perçoivent comme un mouvement de lutte pour la liberté, comme il pouvait en avoir, à cette époque, en Afrique ou au Vietnam.
Ces journalistes et moi-même avons en outre pu compter sur l’indulgence des Américains. J’ai dû poser des questions stupides mais ils savaient que je n’étais pas idiot. Ils avaient compris que je venais d’un pays lointain et que je ne parlais pas la même langue. Aussi se sont-ils attachés à bien expliquer les choses. Si nous avions été Américains, cela aurait été autrement plus délicat. Je pense que les personnes interrogées dans le film sont plus ouvertes ou se sentent plus libres en présence d’étrangers.
"The Black Power Mixtape 1967-1975" démontre également comment les États-Unis sont devenus le pays qui a porté Barack Obama au pouvoir…
G. H. O. : Il me paraît évident que jamais un Noir ne serait parvenu à la Maison Blanche sans le mouvement des droits civiques et le Black Power. Obama a longtemps travaillé dans le social à Chicago, une ville bénéficiant d’un large tissu associatif que le Black Panther Party, entre autres, a contribué à façonner. Son action politique vient donc de cet environnement. Les personnes que l’on voit dans le film ont ouvert la voie à des gens comme Obama.
L’Europe fait actuellement face à une montée de la xénophobie. Pensez-vous que l’on puisse établir un parallèle entre le combat du Black Power dans l’Amérique des années 1960-1970 et celui des minorités aujourd’hui discriminées sur le Vieux Continent ?
G. H. O. : Je pense qu’il existe trois situations bien différentes. Les États-Unis sont confrontés à un syndrome post-esclavagisme. La France et le Royaume-Uni à un syndrome post-colonial. L’Allemagne et la Scandinavie connaissent des problèmes de xénophobie à l’égard des immigrés. Partout il s’agit de racisme mais à des degrés divers. J’estime que les sombres épisodes de l’esclavagisme aux États-Unis et de l’Holocauste en Europe doivent être transmis de génération en génération. Il est de notre devoir de faire en sorte que ces faits restent dans toutes les mémoires.
Bien sûr, l’héritage laissé par le Black Power est prégnant dans certaines communautés en Europe mais aussi dans plusieurs mouvements du printemps arabe. L’une des principales leçons enseignées par le Black Power est qu’il est inutile de rester les bras croisés pour obtenir des droits. Il faut se battre pour ses droits.
Comment votre film a-t-il été accueilli aux États-Unis ?
G. H. O. : Durant l’avant-première au Musée d’art moderne de New York, les gens criaient et applaudissaient. J’étais tellement ému que je n’ai pu sortir un seul mot lors du débat organisé à l’issue de la projection. La réaction des Américains m’a bouleversé.