Le parti Al-Aridha Chaabia du milliardaire tunisien basé à Londres Hemchi Hamdi a créé la surprise en décrochant 19 sièges à l’Assemblée constituante grâce à un mélange de populisme et de promesses farfelues.
Le milliardaire Hechmi Hamdi a réalisé un coup de maître en Tunisie au cours de l’élection de l’Assemblée constituante le 25 octobre. Un "hold up électoral", selon certains observateurs. Son parti, Al-Aridha Chaabia ("Pétition populaire pour la liberté, la justice et le développement"), s’est imposé comme la quatrième force politique en Tunisie, raflant 19 des 217 sièges de l’Assemblée constituante. Pourtant, l’homme d’affaires richissime, qui vit à Londres depuis le milieu des années 80, n’a pas mis les pieds en Tunisie depuis la chute de Ben Ali, le 14 janvier dernier.
L’aventure a finalement tourné court jeudi : Hechmi Hamdi a décidé de renoncer à ses 19 sièges à l’Assemblée constituante après l’invalidation de ses listes dans six circonscriptions par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE). L’autorité électorale a passé la trésorerie d’Al-Aridha au peigne fin et conclu à des irrégularités dans le financement de sa campagne. "Comment peut-on rayer, d'un simple trait, les voix des gens qui ont voté pour Al-Aridha et considéré qu'elle les représentait ?", s’est insurgé le milliardaire sur une radio privée tunisienne, dénonçant du même coup "une violente campagne de dénigrement" à l'égard de son parti. "La participation de la Pétition populaire n'a plus aucun sens, nous ne ferons aucun recours, nous nous retirons simplement de l'assemblée", a-t-il annoncé, indiquant laisser les sièges qu'ils avaient obtenus à d'autres candidats.
Succès dans la ville berceau de la révolution
Malgré le retrait de ses listes, Hechmi Hamdi a réussi son pari : son nom est désormais gravé dans le marbre du paysage politique tunisien. Il a en particulier raflé la majorité des suffrages à Sidi Bouzid, berceau de la révolution tunisienne, volant ainsi la vedette au grand favori de l’élection, le parti islamiste Ennahda. Dans certains bureaux de vote de la circonscription, ses listes ont obtenu près de 90 % des votes. Bel exploit que celui d’obtenir la majorité aux premières élections libres de l’histoire de la Tunisie dans une ville aussi symbolique que celle-ci…
Pourtant tout au long de la campagne, le parti d’Hechmi Hamdi a été largement ignoré par les médias tunisiens. L’homme d’affaires a mené sa campagne presque exclusivement sur sa chaîne télévisée "Al-Moustaquilla" ("l’indépendante"), dont il est également le présentateur vedette, basée à Londres et diffusée en Tunisie par satellite. Ses promesses, aussi variées que farfelues, détonnent : il s’engage notamment à construire un pont entre le sud de l’Italie et la Tunisie, à garantir la gratuité des soins et des transports, et à verser des indemnités de chômage aux quelque 500 000 sans-emploi que compte le pays, des mesures inenvisageables dans le contexte économique chancelant du pays. Il promet également de céder deux milliards au pays, omettant de préciser de quelle devise il s’agit.
Le score de Hamdi illustre la fracture entre la ville et les terres
"On est vraiment dans l’archétype du leader populiste, analyse Vincent Geisser, politologue et chercheur à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman. Il a beaucoup joué sur son origine. Il vient de Sidi Bouzid, région particulièrement pauvre de l’intérieur de la Tunisie. Il a réussi à se présenter comme un enfant du peuple, en disant, en substance : ‘je suis comme vous, je vous ressemble’". Et il en cultive habilement son look : sa fine moustache, ses traits marqués et son accent du terroir ne laissent rien présager des millions qu’il détient.
Dans les terres, son approche et ses manières font mouche. Les Tunisiens de l’intérieur nourrissent un sentiment de défi à l’égard des élites tunisoises de gauche, affirme le chercheur. À Tunis et dans les villes côtières, une élite intellectuelle – pas forcément riche, mais cultivée – a émergé, formant aujourd’hui le vivier progressiste du pays. Très loin des préoccupations et de la culture des Tunisiens de l’intérieur, qui ont majoritairement voté pour le parti islamo-conservateur Ennahda. "Dans la campagne, les Tunisiens ont l’impression que la révolution leur a été volée par ces élites intellectuelles qui font maintenant leurs petites affaires politiques entre eux, explique Vincent Geisser. Ils nourrissent un sentiment d’injustice et d’incompréhension. C’est tout à fait propice à l’émergence de discours populistes."
Personnage ambigu, Hechmi Hamdi se fond parfaitement dans son nouveau costume de leader populiste. Son parcours est à son image : trouble. Leader étudiant de l’ancêtre du parti islamiste Ennahda jusque dans les années 90, il retourne ensuite sa veste et se rapproche du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), parti de Ben Ali, plus à même de faciliter ses affaires avec les pays du Golfe. "Hamdi est aujourd’hui capable d’articuler la fibre islamiste et celle des anciens de Ben Ali, des déçus de la révolution, assure Vincent Geisser. C’est un homme trouble".