Considérée en France comme une pratique quasi ésotérique, la préparation mentale des sportifs peine à trouver sa place dans le sport de haut niveau. Mais les mentalités commencent à changer...
C’est une petite révolution silencieuse qui sévit dans le sport de haut niveau en France. Certains clubs et athlètes se sont laissés convaincre de l’utilité d’une préparation mentale au même titre que celle effectuée sur le pan physique. C’est le cas du Cercle des nageurs de Marseille (CNM) - où évoluent les champions Frédéric Bousquet, Laure Manaudou, Camille Lacourt, Fabien Gilot, Grégory Mallet et William Meynard – qui a fait appel à Thomas Sammut en 2008.
"Il n’a pas attendu des résultats mais plutôt le retour des nageurs"
Pendant sa période d’essai, que Thomas Sammut, entraîneur de natation de 2000 à 2005 au club de l'ASPTT Nantes, effectua bénévolement avec trois nageurs, Romain Barnier, directeur sportif du CNM, lui laisse carte blanche. "Il n’a pas attendu des résultats mais plutôt le retour des nageurs, tous volontaires", raconte-t-il. La préparation mentale permet, selon lui, d’enlever les limites que le nageur s’impose. "Mon rôle est de lui faire comprendre quels sont ses freins à la performance, ses barrières psychologiques et de mettre le doigt dessus." Quelques mois plus tard, il était embauché à plein temps. Et rapidement, les résultats sont au rendez-vous.
Lors des derniers championnats du monde en grand bassin à Shanghaï, l’équipe de France a récolté 11 médailles, un record. Parmi les lauréats, on trouve cinq Marseillais. Ce qui fait du CNM, le club le plus titré de ces Mondiaux, devant les Américains et les Russes. Coïncidence ? "C’est avant tout un travail d’équipe", tempère-t-il. "Nous sommes cinq à nous occuper de notre groupe. Il s’agit de mettre les nageurs dans les meilleures conditions psychologiques et physiques et de renforcer leur cohésion. Le fait est que tous nos athlètes ont progressé."
Si Thomas Sammut n’entre jamais dans les détails du contenu des séances avec ses nageurs, il en confie les grandes lignes. "En fait, je leur pose plus de questions que je ne leur donne de réponses. On passe 20 % du temps à parler de leur enfance et de leur passé, et 80 % à évoquer leurs situations présente et future. C’est à eux d’aller chercher au fond d’eux-mêmes ce dont ils ont besoin pour réussir." Diplômé en "coaching mental" destiné aux cadres, il compare volontiers le monde de l’entreprise et du sport. "Dans les deux cas, la quête de la performance est au centre de l’activité".
"En rugby, on aurait besoin d’un préparateur dans tous les moments d’une carrière"
Pourtant en dépit des bons résultats, comment expliquer que les préparateurs mentaux ne convainquent pas les Français ? Car si ce métier est répandu dans les pays anglo-saxons, il reste encore confidentiel en France. "Lors des Mondiaux, alors que le staff de la Fédération française me regardait avec méfiance, les préparateurs américains et australiens sont venus me féliciter pour le résultat obtenu avec nos sprinteurs. Si les Français se méfient de la préparation mentale, c’est d’abord parce qu’ils n’en connaissent pas les tenants et les aboutissants. Peut-être pensent-ils qu’on va manipuler les athlètes ou rentrer dans leurs têtes ?"
Loïc Gouzerh, fondateur de la société Mentalpespor, qui gère la préparation mentale de plusieurs athlètes de haut niveau en France et en Suisse, partage cet avis. "Cette peur est irrationnelle. Les Français manquent clairement d’ouverture d’esprit dans ce domaine", confie-t-il à France24.com. "Les Anglo-Saxons ont une vision constructive de la préparation des sportifs de haut niveau et se focalisent sur le potentiel de l’athlète. L’objectif est que celui-ci se sente bien dans sa peau et se concentre sur son but."
La préparation mentale va au-delà de la simple performance pour Raphaël Poulain, ex-joueur de rugby, ex-coach mental et auteur de "Quand j’étais Superman" (éditions Robert Laffont). "En rugby, on aurait besoin d’un préparateur dans tous les moments d’une carrière. Quand ça va bien, quand on se blesse, quand on change de club…", raconte l’ancien ailier du Stade Français et du Racing Métro 92. "Dans le rugby, tout repose sur l’entraîneur mais bien que Guy Novès (entraîneur du Stade Toulousain, NDLR), Laurent Labit et Laurent Travers (co-entraîneurs du Castres Olympiques, NDRL) soient très compétents, ils ne font pas forcément de bons coachs [mentaux]. Aujourd’hui avec l’argent qui circule dans le rugby professionnel, les athlètes attachent trop d’importance à la performance. Un coach mental sert surtout à retrouver le plaisir de jouer et les valeurs de partage." En somme, un retour aux souces.