logo

Des victimes de l'incendie du squat de Pantin rapatriées sur fond de polémique

Les dépouilles de deux des 6 victimes - 4 ressortissants tunisiens et 2 égyptiens - décédées dans l'incendie d'un squat à Pantin, le 28 septembre, ont été rapatriées ce mardi en Tunisie. En France, l'enquête est toujours en cours. Reportage.

L’homme se penche pour embrasser une dernière fois le linceul blanc. Avec pour seule intimité un claustra de bois qui isole à peine la petite pièce froide du centre médico-légale parisien, sur les quais de Seine, il fait enfin coulisser la lourde planche de pin et referme le cercueil sur la dépouille de Magder, son petit frère de 22 ans.

Mgader Akrout faisait partie des six immigrés - quatre Tunisiens et deux Egyptiens - morts dans l’incendie d'un squat à Pantin, la nuit du 28 septembre. Sa dépouille doit être rapatriée ce mardi en Tunisie, son pays natal. Alors, sans plus de cérémonie, les huissiers en noir font couler la cire rouge, scellant à jamais  le cercueil qu'ils embarquent dans le plus grand silence, sous le regard meurtri des proches.

Réponse de l’ambassade de France à Tunis

À la suite de la publication de notre article, l’ambassade de France à Tunis a sollicité le droit de réponse ci-dessous :

"Vérification faite auprès du Consulat général de France à Tunis, il s’avère que M. Majdi Sadfi, frère de Mourad Sadfi, s’est présenté au service des visas le 11 octobre avec une recommandation de Me Maktouf. Ce dossier a été traité en priorité et délivré en deux heures, afin que l’intéressé puisse prendre son vol pour Paris, hier après-midi."

S'il a été confirmé à France 24 que le frère de la victime est effectivement arrivé à Paris le mardi 11 octobre dans la soirée, il s'avère en revanche que la demande de visa, traitée "en priorité" par le Consulat de France en Tunisie, avait été formulée par fax le 6 octobre par Me Maktouf. Sa requête est restée sans réponse jusqu'à mardi après-midi.
 

Mgader était arrivé en France il y a trois mois, via l'île italienne de Lampedusa. Il faisait partie de la vague de migrants ayant fui la Tunisie après le départ de Ben Ali, le 14 janvier. Après des mois d’errance, il s’était installé début septembre dans le squat de la banlieue parisienne.

"Sauter ou mourir"

Wissem partageait la chambre de Mgader Akrout à Pantin. Mais lui a survécu. A 27 ans, il est arrivé de Tunisie le 14 février dernier. Sans ressource ni famille à Paris, il a fini par échouer dans le squat, fin août où il s'est entassé avec une vingtaine de personnes. La nuit de l'incendie, il parvient à s’échapper in extremis : "J’ai été réveillé à 5h30 par des cris. Tout le monde était debout, c’était la panique. La chambre était enfumée et quand on a ouvert la porte, les flammes se sont engouffrées", raconte-t-il à FRANCE 24.

Torse nu, blouson sur le visage pour se protéger des flammes et de la fumée, Wissem  s’enfuit en sautant par la fenêtre du premier étage : "C’était sauter ou mourir." Il s’en sort avec une brûlure dans le dos et une entorse au genou. Tous ses compagnons n’ont pas eu cette chance.

Wissem décrit le squat comme insalubre, sans eau, ni électricité, équipé d’escaliers de bois branlants et d’une porte d’entrée ouverte aux quatre vents. Les squatteurs s’éclairaient à la bougie. C’est l’une d’elle qui serait à l’origine du drame, selon les premiers éléments de l’enquête ouverte par le parquet de Bobigny.

"Il faut que les circonstances du drame soient éclaircies. Il est indigne que des jeunes soient laissés dans un logement insalubre et impropre à la survie humaine", s’indigne Samia Maktouf, avocate au barreau de Paris. Elle défend les familles de victimes et les rescapés du drame qui ont porté plainte contre X pour homicide involontaire, blessures aggravées et non-assistance à personne en danger.

La tragédie de "l’immigration clandestine" ?

En visitant le lieu le lendemain de l'incendie, le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, avait lié le drame "à  la réalité tragique de l’immigration clandestine". Samia Maktouf précise pourtant que toutes les victimes ne recouvraient pas cette réalité : "Je m’insurge contre les propos de Claude Guéant qui pointe la responsabilité des trafiquants de chair alors qu’il n’est pas question de ça !" Parmi les quatre Tunisiens tués dans l’incendie, deux étaient en règle.

Ils s’appelaient Mehrez Sliman et Mourad Ben Hadj et se sont simplement trouvés au mauvais endroit, au mauvais moment. A 42 ans, Mehrez vivait en France depuis deux ans avec un titre de séjour valable dix ans. Mourad Ben Hadj, 35 ans, était lui arrivé au mois d’août avec un visa. Il travaillait chez Valeo en Tunisie et souhaitait obtenir sa mutation dans l’Hexagone. Son père, venu du pays récupérer sa dépouille, ne décolère pas : "Claude Guéant a dit qu’ils étaient des migrants clandestins. Mais Mourad avait un passeport, un visa et de l’argent! Il était juste venu voir des amis dans le squat."

Gravement brulé, le corps de Mourad n'est pas identifiable. Des analyses ADN sont en cours pour qu’il puisse être restitué à sa famille. La quatrième victime tunisienne, Mourad Sadfi, 28 ans, est en revanche toujours gardé sous X par la brigade criminelle de Paris. Selon Samia Maktouf, Boris Boillon, ambassadeur de France en Tunisie, refuse de délivrer un visa à son père pour qu'il puisse venir identifier et rapatrier le corps.

L’abandon de l’État français

L’avocate, qui défend bénévolement la cause de migrants tunisiens depuis des mois, pointe la responsabilité des autorités françaises : "Si ces migrants se sont retrouvés dans un squat insalubre, c’est parce les responsables politiques n’ont pris aucune décision pour s’occuper d’eux !"

"Je me tue à rappeler que la Tunisie, avec ses moyens modestes, a accueilli plus de 170 000 réfugiés qui ont fui le conflit en Libye. Il est inconcevable que la vieille Europe et la France ne puissent, à ce jour, accueillir les martyrs de la Révolution. Combien faudra-t-il de drames? Combien de morts avant que les autorités comprennent?" ajoute-t-elle

Accusée de ne pas avoir relogé les squatteurs dans un lieu plus convenable, la Ville de Pantin dénonce pour sa part l’abandon de l’État qui laisse les municipalités gérer seules la question migratoire : "On ne peut pas reloger tous les squatteurs, affirme à FRANCE 24 Philippe Bon, directeur de cabinet du maire de Pantin. La révolution a provoqué un afflux massif de migrants. Mais 1 200 places dans les hébergements d’urgence ont été supprimées l’année dernière et le 115 [numéro d'urgence et d'accueil des personnes sans abri, NDLR] ne fonctionne plus. Les seules qui nous aident aujourd’hui sont les associations."

Depuis le drame du 28 septembre, quelques survivants sont hébergés dans les locaux du stade de Pantin - qu’ils doivent déserter chaque jour de 9 à 18 h pour laisser la place aux scolaires. D’autres sont retournés dans la rue, dormant cachés le long du parc de Belleville, dans le 19e arrondissement. Mgader Akrout et Mehrez Sliman sont, eux, en route vers leur dernière demeure. Dans l’aube bleue et froide de ce mardi d'automne, les corbillards se sont mis en branle, transportant leurs dépouilles vers l’aéroport d’Orly, d’où ils doivent être rapatriés en Tunisie pour y être inhumés. Près des leurs.