Le directeur de la Banque centrale anglaise, Mervyn King, redoute la pire crise de l'histoire britannique, tandis que l’agence de notation Moody’s s’en prend aux banques anglaises. Londres ne s’en sortirait-il pas mieux que les pays de la zone euro ?
À l’ombre de la crise actuelle de la zone euro, la Grande-Bretagne a connu en moins de 24 heures une double secousse économique. D’abord, la Banque centrale (Bank of England) a décidé, jeudi, d’injecter 70 milliards de livres (80,8 milliards d’euros) dans le système pour soutenir l’économie. Une décision que le patron de l'institution, Mervyn King, a expliqué par la perspective de la “pire récession de l’histoire” risquant de s’abattre sur le pays. Vendredi matin, l’agence de notation Moody’s a remis de l’huile sur le feu en dégradant la note de douze établissements britanniques.
Londres en stagnation
Londres semble donc bel et bien aller à la dérive, de concert avec le reste du Vieux Continent. “Nous sommes dans une situation de stagnation économique sans perspective de reprise, à court ou moyen terme”, explique à France 24 Tim Leunig, économiste à la London School of Economics. Qui rappelle : “Au début de la crise de la zone euro, nous pensions avoir de meilleures perspectives de reprise.” L’inflation semblait alors sous contrôle et les Britanniques se réjouissaient d’avoir des livres sterling en poche, pas des euros. “Heureusement que la Grande-Bretagne n’est pas dans l’euro”, affirmait ainsi en novembre 2010 le Daily Telegraph, quotidien conservateur.
Près d’un an plus tard, ce même journal juge dorénavant que la “crise des dettes souveraines européennes est la plus grande menace pour l’économie britannique”. “La détérioration de la situation dans la zone euro risque d’handicaper nos exportations à un moment où la consommation interieure est moribonde”, remarque Tim Leunig. La Grande-Bretagne réalise, en effet, plus de 50% de ses exportations vers des pays de la zone euro et le travail de 3,5 millions de britanniques dépend du commerce avec le reste de l’Europe, selon un rapport de janvier du Département gouvernemental britannique du commerce et de l'innovation. Malgré la livre sterling, l’île n’est pas si isolée que cela.
Des crédits à gogo
Cependant, mettre la dégradation de la situation seulement sur le dos des Grecs, des Portugais et des Italiens est un peu court. “Blâmer les autres ne marche pas”, confirme au quotidien The Guardian Tim Morgan, responsable des études pour le cabinet de courtiers londonien Tullett Prebon. “La Grande-Bretagne a l’un des taux de croissance les plus faibles de l’OCDE [ 0,5% au deuxième trimestre 2011, ndlr] et des dysfonctionnements propres qui remontent à plus de dix ans”, poursuit-il.
En cause, selon Tim Morgan : la culture britannique de la consommation à crédit et une croissance dopée depuis la fin des années 1990 par les dépenses publiques. “Avec les politiques de rigueur qui rendent l’État moins dispendieux et les banques qui réduisent les mannes du crédit, les deux leviers de la croissance ont disparu”, conclut l'économiste.
D’où l’initiative de la Banque centrale britannique d’injecter 70 milliards de livres dans l’économie. Avec cet argent, la Bank of England va acheter des bons du Trésor essentiellement à des banques privées, lesquelles vont ainsi recevoir une manne de liquidités. Mervyn King espère ensuite que ces banques recommenceront à prêter aux particuliers et aux entreprises.
“C’est à l’heure actuelle la meilleure arme, voire la seule, de la Banque centrale pour tenter de redresser la barre”, estime Tim Leunig. Certes, ce flot d’argent frais risque d’accentuer l’inflation - de quelque 4% - “mais c’est un petit prix à payer pour éviter un retour à la récession”, tranche l'économiste.
Noir, c’est noir ?
Mais la dégradation par Moody's de la note des banques britanniques montre que le coeur du problème est financier. “Les banques sont le point faible de notre économie”, estime Tim Leunig. “Rien ne prouve qu’elles vont jouer le jeu voulu par la Banque centrale”, confirme au Guardian William Perraudin, économiste à l’Imperial College of London. “Elles sont affaiblies et vont probablement chercher à consolider leurs fonds propres avant tout et ensuite elles essaieront de faire fructifier cet argent en bourse”, poursuit-il.
Le tableau semble donc bien sombre pour l’économie britannique. “C’est sûr que comparé à des pays européens comme l’Allemagne, nous sommes en moins bonne santé, mais il ne faut pas croire que la Grande-Bretagne est dans la situation de l’Italie ou de l’Espagne”, nuance Tim Leunig. Il rappelle que depuis le début de la crise de la zone euro, moins d’un million d’emplois ont été détruits et que le niveau de vie a "peu baissé”.
En fait, le bouclier de la livre sterling n’a pas empêché la Grande-Bretagne “d’être dans le même état que la majorité des pays de la zone euro”, juge-t-il. Londres est donc condamné, comme les autres, à espérer que Berlin, Paris les autres capitales trouvent un moyen de calmer les marchés. Mais contrairement aux autres, la Grande-Bretagne, en tant que pays extérieure à la zone euro, n’a pas voix au chapitre.