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"Jasad" ou le magazine du corps dans tous ses états

"Jasad", magazine arabophone qui traite du corps sous tous ses angles, vient de paraître. Selon sa rédactrice en chef, Joumana Haddad, il s'agit d'un concept inédit visant à "briser les tabous" qui perdurent au sein du monde arabe.

Un "cocktail molotov" lancé dans le monde arabe ! Voilà comment certains opposants ont décrit le nouveau magazine arabophone "Jasad".

"Jasad", ou corps en langue arabe, est un magazine trimestriel édité au Liban avec une idée originale : traiter du corps sous des angles : artistique, intellectuel, scientifique, sociologique, littéraire, sexuel… Sans tabous ni censure. Le magazine contient des images artistiques qui mettent en valeur les parties génitales féminines et masculines. Ninar Esber, jeune artiste et fille du célèbre poète arabe Adonis, a publié certaines de ses œuvres, dont une la montrant en sous-vêtement jouant avec des vibromasseurs

(voir diaporama ci- dessous).

Selon, la rédactrice en chef du journal, Joumana Haddad, 38 ans, "il faut briser les tabous, arrêter l’hypocrisie et la schizophrénie qui régne dans le monde arabe quand il s’agit de parler du corps".

A 15 000 livres libanais (10 dollars) le numéro, le lancement de "Jasad" aurait été couronné de succès, selon Joumana Haddad. Laquelle jubile : "Mon distributeur au Liban a été étonné, il m’a dit que le magazine se vendait bien, même dans les petits villages." Et de préciser : "Sur 7 000 tirages, 4 000 ont été écoulés en l'espace de 11 jours."

Le magazine est distribué au Liban et se base sur les abonnements pour sa distribution internationale.

"Tu es en train de corrompre les nouvelles générations !"

A l’annonce de la parution de "Jasad", Joumana Haddad, également poète et écrivaine, nous fait savoir qu’elle a reçu des lettres anonymes contenant des insultes : "Dieu te punira !", "Tu es en train de corrompre les nouvelles générations !"…

Elle raconte que sa famille et son compagnon étaient, du moins au départ, opposés au projet. "Ce n’est pas le bon moment", disaient -ils. "Ce n’est pas facile de faire un tel projet, je m’attendais à des critiques, mais je n’ai pas peur des menaces", explique la jeune rédactrice en chef. Elle ajoute : "J’ai tenu et je crois que ma passion l’a emporté sur mes doutes quant à la réussite du projet."

Ce sont justement  "[sa] passion, [son] émerveillement par le monde du corps et ses expressions" qui lui ont donné l’idée du magazine. "J’ai voulu écrire pour des gens comme moi, passionnés par le corps. Je veux leur offrir la possibilité d’aller dans une librairie et de pouvoir acheter ce genre de magazine en arabe s’ils désirent."

Par ailleurs, elle souligne :  "Je trouve qu’il n’y pas beaucoup d’écrits ni de réflexions sur le corps dans le monde arabe, et notamment concernant le corps érotique." Elle poursuit : "Le corps est devenu un tabou au cours des 19e, 20e et 21e siècles. Ce n’était pas le cas au cours du 11e ou du 13e siècle. Il y avait de jolis écrits arabophones sur le corps et sans tabous, comme "Les Jardins parfumées" ou  "Les Mille et une nuit"."

Elle a voulu faire de "Jasad" une tribune "mettant en évidence le corps, des réflexions sur la langue arabe et sa relation avec le corps".

Les sujets du premier numéro, varient entre homosexualité, fétichisme, masturbation, cannibalisme, notion de plaisir… dans une langue arabe qui appelle les choses par leur nom. Le magazine offre un panorama des expositions sur le corps comme Body Worlds, des écrits sur le corps en arabe ou traduits de l’arabe, une rubrique cinéma avec des interviews ou articles sur des acteurs de films pornographiques ou érotiques. Il y a même un coin cuisine, avec une recette aphrodisiaque.

Censure et autocensure

Joumana Haddad dit ne pas vouloir faire de la pornographie ou de l’érotisme son fond de commerce. Néanmoins, elle avoue vouloir privilégier ses thèmes dans son magazine puisque "le corps érotique est marginalisé dans le monde arabe. Il est tabou". Elle ajoute : "Je ne m'impose aucune autocensure sur le contenu. J’ai refusé le financement d’une personne d’origine arabe par ce qu’elle a commencé à interféré dans le contenu." Elle nous confie qu’elle a fini par créer sa propre maison d’édition et a financé le projet par ses propres moyens.

"Jasad" n’a pas fait l’objet de censure. Le magazine a reçu les autorisations du ministère de la Communication et du Syndicat des journalistes libanais. Il n’ ya pas eu de réactions officielles contre le magazine. Joumana Haddad annonce ne pas avoir rencontré de problèmes, ni apriori ni a posteriori. Rappelant, tout de même, que le magazine n’est vendu que dans les librairies au Liban sous un sac en plastique, sous la mention : "Pour adultes."