Des scientifiques du CERN ont observé une particule capable de se déplacer plus vite que la lumière. Directeur de l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules du CNRS, Jacques Martino explique la portée de cette découverte.
60 nanosecondes : le chiffre fera date dans l’histoire de la physique. Récemment, des équipes de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN), basée à Genève, en Suisse, ont en effet observé que des particules - baptisées neutrinos - se déplaçaient 60 nanosecondes plus vite que la vitesse de la lumière, selon un article publié sur le site arxiv.org dans la nuit de jeudi à vendredi.
Un résultat théoriquement impossible, car il vient remettre en cause la théorie élaborée en 1905 par Albert Einstein, largement acceptée depuis par les scientifiques. À savoir : le fait que rien ne peut aller plus vite que 299 792 458 mètres à la seconde, soit la vitesse de la lumière. Cette dernière fait même partie de la célèbre équation E=mc² qui pose les jalons de la théorie de la relativité.
Sans cette formule, les scientifiques du monde entier n’auraient peut-être pas découvert tout ce que nous savons aujourd’hui sur l’origine du monde, n’auraient pas pu construire la bombe atomique et auraient sans doute été bien en peine de mettre au point les systèmes de géolocalisation et les GPS.
Du jour au lendemain, une petite particule en excès de vitesse vient-elle donc remettre en cause la base scientifique qui a permis toutes ces avancées ? Jacques Martino, directeur de l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules du CNRS qui chapeaute l’équipe scientifique française à l’origine de l’expérience fatidique, explique à FRANCE 24 la portée exacte du résultat obtenu.
FRANCE 24: Le résultat obtenu par les équipes du CERN remet-il en cause la théorie de la relativité d’Albert Einstein ?
Jacques Martino : Je ne pense pas que l’on puisse le dire, et pour deux raisons. D’abord, il ne s'agit que d’un résultat expérimental. C’est pour cette raison que nous avons tenu à le publier afin de recueillir les critiques de la communauté scientifique. Je le vois donc plutôt comme un point de départ. Nous sommes, en fait, dans la même situation que Pierre et Marie Curie lorsqu’ils ont découvert la radioactivité. D’autres expériences doivent maintenant être conduites dans les années à venir pour confirmer ou infirmer le fait que les neutrinos peuvent bien se déplacer au-dessus de la vitesse de la lumière.
Ensuite, il faut bien comprendre de quoi nous parlons. Ce résultat, s’il venait à être confirmé, signifie peut-être seulement qu’il faut repousser de quelques nanosecondes la vitesse maximale qu'il est possible d'atteindre ou encore que les neutrinos sont les seules particules à pouvoir dépasser la vitesse de la lumière. En ce sens, il s’agirait davantage des fondements d’une théorie physique plus globale qui engloberait celle de la relativité, en la corrigeant dans certains cas. Les recherches d’Einstein avaient, de la même manière, approfondies celles de Newton portant sur la gravité.
F24 : Comment ce résultat a-t-il été obtenu ?
J.M. : L'expérience a été entreprise il y a environ un an, dans le cadre d’une autre menée au CERN, qui porte sur les capacités des neutrinos à se transformer lorsqu’ils sont propulsés sur une certaine distance. Les équipes de scientifiques ont décidé d’observer, à cette occasion, la vitesse à laquelle ils filaient sur une distance de 730 km entre le CERN et le massif de Gran Sasso, à 100 km de Rome. Et le verdict est tombé en mars dernier à la stupeur générale : ces particules allaient plus vite que la lumière...
Les chercheurs ont alors recommencé l’expérience et fait tester les résultats par plusieurs laboratoires indépendants, mais personne n’a trouvé d’erreur. Tout semblait concorder et, comme Sherlock Holmes, ils ont dû se résoudre à se dire que, “lorsque vous avez éliminé l'impossible, ce qui reste, aussi improbable que cela paraisse, doit être la vérité”. Ils nous ont donc soumis leurs conclusions il y a une semaine et nous les avons publiées cette nuit.
F24 : Les neutrinos sont-ils allés beaucoup plus vite que la vitesse de la lumière ?
J.M. : Oui. Si les neutrinos avaient fait une course sur 730 km avec des photons [les particules pouvant atteindre la vitesse de la lumière, NDLR], ils leur auraient mis 20 mètres dans la vue à l’arrivée !
F24 : Si la vitesse de la lumière n’est plus un plafond, qu'est-ce que cela implique ?
J.M. : D’abord, il faut chercher à comprendre comment les neutrinos ont pu dépasser cette vitesse. Il peut y avoir des explications très intéressantes. Par exemple, il est possible qu’au lieu d’aller plus vite, ces particules aient pris un raccourci. Elles seraient passées à un moment par une dimension où le rapport entre le temps et l’espace est différent. Ce serait alors la preuve de l'existence - jusqu’alors purement théorique - d'une dimension qui ne serait pas soumise aux mêmes lois que les quatre que nous connaissons [hauteur, largeur, longueur et temps, NDLR].
Si le constat se confirme, il s'agira alors d'un défi posé à la recherche fondamentale. Sans la limite posée par la vitesse de la lumière, des tabous pourraient tomber. Ainsi, par exemple, cela pourrait permettre de faire avancer la compréhension de l’origine du monde, et notamment de ce qui s’est passé juste après le Big Bang.