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Le gaz, nouvelle pomme de discorde en Méditerranée orientale

La République de Chypre a suscité l'ire de la Turquie en entamant l'exploration de gaz offshore en Méditerranée orientale. Un différend qui ne fait qu'exacerber les relations déjà tendues entre les deux pays.

Une guerre du gaz est-elle en train de se préparer dans l’est de la Méditerranée ? Depuis la découverte d’importantes réserves de gaz au large d’Israël, du Liban et de Chypre en 2010 (baptisées Leviathan - voir carte ci-contre), la possibilité que la région regorge d'énormes quantités d'hydrocarbures aiguise les appétits. En témoigne la nouvelle passe d’armes à laquelle se livrent actuellement la République de Chypre et la Turquie.

Que dit le droit maritime ?

On distingue quatre zones maritimes sur lesquelles s’exerce la souveraineté d’État :

- Les eaux intérieures, qui correspondent aux eaux incluses entre le rivage et la ligne de base à partir de laquelle est mesurée la largeur de la mer territoriale (voir ci-dessous). L’État y exerce une souveraineté totale.

- La mer territoriale, qui est la partie de mer côtière sur laquelle s'étend la souveraineté d'un État. Sa largeur maximale est fixée à 12 milles marins (un peu plus de 22 kilomètres) par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.

- La Zone économique exclusive (ZEE), qui est un espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière d'exploration et d'usage des ressources. La ZEE s'étend de la mer territoriale à 200 milles marins au large de ses côtes.

- La haute mer, ou eaux internationales, qui correspond aux zones maritimes qui ne sont sous l'autorité d'aucun État. Elle commence au-delà de la limite extérieure de la ZEE et représente 64 % de la surface des océans. Le principe de liberté y prévaut : liberté de navigation, de survol, de pêche, de recherche scientifique, de pose de câbles et de pipe-lines, etc.

Lundi, la partie grecque de Chypre - reconnue par la communauté internationale, contrairement à la partie turque - a en effet annoncé le lancement d’une opération d’exploration de gaz dans sa Zone économique exclusive (voir encadré), provoquant la colère d’Ankara, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, allant jusqu’à qualifier l’opération de "folie". En réponse, la Turquie a signé mercredi un accord avec Chypre Nord pour entamer des forages offshore de gaz et de pétrole.

S’il rejette l'idée d'une guerre du gaz, Didier Billion, rédacteur en chef de la Revue internationale et stratégique et spécialiste de la Turquie, n'exclut pas que les tensions puissent s'exacerber prochainement. Car ces eaux méditerranéennes potentiellement riches en hydrocarbures n'ont toujours pas été clairement délimitées. Conséquence : Israël, le Liban et Chypre en revendiquent la souveraineté (voir carte ci-contre).

"Une épine de plus"

"Le conflit gazier entre Chypre et la Turquie réveille par ailleurs le contentieux chypriote, loin d’être réglé", indique Didier Billion. La Turquie avait en effet demandé un report de l’opération d'exploration gazière par les Chypriotes grecs tant que les deux parties de l’île n’étaient pas réunifiées. Aujourd’hui, Ankara estime donc que ces derniers se rendent coupables d’une intervention unilatérale sur les ressources du pays.

"Il s’agit d’une épine de plus dans le dossier des négociateurs qui butent depuis tant d'années", commente le chercheur. Depuis 1974, l’île de Chypre est divisée en deux parties, après que la Turquie en a envahi le nord à la suite d'un coup d'État fomenté par des nationalistes chypriotes-grecs visant à rattacher le pays à la Grèce.

La Turquie, pays émergent qui aspire à intégrer l'Union européenne (UE) et qui dispose de peu de ressources énergétiques, a menacé la semaine dernière de "geler" ses rapports avec Bruxelles lorsque la présidence tournante de l'UE reviendra à la République de Chypre, en juillet 2012, si une solution à la division du pays n'est pas trouvée d’ici là.

"Jeu de billard à trois bandes entre la Turquie, Chypre et Israël"

En outre, Ankara n’accepte pas que les Chypriotes grecs aient signé avec l’État hébreu un accord destiné à éviter tout conflit dans la recherche de gisements de gaz sous-marins dans la zone, précise Didier Billon, qui voit dans cette rivalité un "jeu de billard à trois bandes".

"La récente dégradation des relations entre Israël et la Turquie ne fait qu’exacerber les tensions", poursuit le chercheur. Les deux pays sont en effet arrivés au bord de la rupture après la mort, en mai 2010, de neuf Turcs lors de l'attaque israélienne contre une "flottille de la paix". Ankara, qui réclame des excuses formelles à Israël, a depuis expulsé l'ambassadeur de l’État hébreu en Turquie et suspendu ses accords militaires avec Tel Aviv.