Les partisans de Troy Davis, cet Afro-américain qui doit être exécuté ce mercredi pour le meurtre d'un policier blanc en 1989, dénoncent une sentence discriminatoire et raciste, révélatrice d'une justice à deux couleurs.
A-t-on plus de chance d’être condamné à mort si l’on est noir et pauvre aux Etats-Unis ? La réponse est évidente pour les partisans de Troy Davis, le prisonnier noir américain condamné à mort pour le meurtre, en 1989, de Mark MacPhain, un officier de police blanc de Savannah, en Géorgie (sud-est). Après avoir passé vingt ans dans les couloirs de la mort, Troy Davis s’est vu refuser la grâce par l’État géorgien. Il doit se faire administrer une injection mortelle à 19h00 (1 h du matin à Paris), ce mercredi, au pénitencier de Jackson, en Géorgie.
Devenu un symbole de la lutte internationale contre la peine de mort, Troy Davis, 42 ans, est afro-américain comme près 42% des condamnés à la peine capitale aux États-Unis, selon les chiffres du Centre d’information sur la Peine de mort, alors les Noirs ne représente que 12% de la population totale. Il est présenté par ses partisans comme le prototype du Noir, pauvre et condamné à tort.
"Le refus du comité des grâces de Georgie de commuer la peine de Troy Davis révèle les vastes injustices systémiques de la justice. (…) La peine de mort aux Etats-Unis est arbitraire, discriminatoire et incroyablement coûteuse ; il faut y mettre fin", a estimé dans un communiqué Denny LeBoeuf, directeur du projet "Peine capitale" mené par l’Union américaine des libertés civiles (ACLU).
Une condamnation sans preuve matérielle
Les associations de défense des droits de l’Homme dénoncent notamment l’indigence du dossier, dont les avocats de Troy Davis n’ont eu de cesse, ces quatre dernières années, de démontrer les failles : "Depuis son inculpation, Troy Davis a reconnu s’être trouvé sur les lieux au moment des faits, mais a nié être l’auteur du crime. Il n’y a aucune preuve matérielle à son encontre", dénonçait Amnesty International France dans un communiqué publié le 8 septembre dernier.
Parmi les points non élucidés : le fait que sept des neuf témoins qui avaient désigné Troy Davis comme l’auteur du coup de feu mortel en 1991 se sont rétractés. En août 2009, ils ont déclaré avoir subi des pressions de la police pour accuser le jeune homme. Par ailleurs, l’arme du crime n’a jamais été retrouvée, et aucune empreinte digitale ou ADN n'a été relevée. Mais aucun de ces arguments n’a su convaincre les juges et le jury.
"Davis est-il le coupable idéal ? Il suffit de regarder son visage ! Les Latinos et les Noirs font encore peur aux Etats-Unis, explique à France 24 Eileen Servidio, juriste et professeur de droit à l’American Graduate School de Paris, tout en soulignant la dimension socio-économique du problème : "Il ne faut pas oublier qu'au sein des classes populaires, les gens n’ont pas les moyens de se payer des bons avocats."
La partialité du jugement a également été pointée du doigt par l’avocat et ancien ministre Robert Badinter, qui, il y a trente ans exactement, obtenait l’abolition de la peine de mort en France. "Je le dis très fortement : quand on regarde ce dossier, on voit qu’un jeune noir a été condamné en Géorgie, avec une vieille tradition qui remonte au temps de l’esclavage et du racisme, pour le meurtre d’un policier blanc, sans aucune preuve matérielle", a déclaré sur RTL lundi soir le sénateur socialiste.
Des condamnés noirs et des juges blancs
Les statistiques indiquent que la race - de l’accusé comme de la victime - reste un facteur important dans l’application de la peine capitale aux États-Unis. Deux chercheurs américains, David Baldus, professeur de droit, et George Woodworth, statisticien, démontraient il y a dix ans que la probabilité d’être condamné à mort est multipliée par 3,9 si l’accusé est Noir.
Des études plus récentes du Centre d’information sur la peine de mort prouvent par ailleurs que le risque d’être condamné à mort est quatre fois plus élevé lorsque la victime est blanche que lorsqu’elle est noire, et jusqu’à onze fois si l’auteur du crime est un Noir et que sa présumée victime est blanche.
Pourquoi une telle disparité ? Au nombre des explications sociales, culturelles et historiques, il y a celle avancée par le professeur Jeffrey Pokorak, de l’université Saint Mary (Texas), qui a souligné que près de 98% des procureurs de la République sont des Blancs, alors que seulement 1% sont des Noirs.
"Au moins un cinquième des Afro-américains exécutés depuis 1977, et un quart des Noirs mis à mort pour avoir assassiné des Blancs, ont été jugés devant des jurys exclusivement composés de Blancs. Quelle était la probabilité que cela se produise en l’absence de toute discrimination ?", questionnait Amnesty International dans un communiqué datant de 2003.
Depuis les années de l'esclavage, des lynchages et des lois Jim Crow qui distinguaient jusqu’en 1964 les citoyens selon leur appartenance raciale, ces préjugés ont toujours influencé l'application de la peine de mort. Cette période ne semble pas révolue. Et si les Etats-Unis peuvent s’enorgueillir d’avoir élu, en 2008, un président "de couleur", le cas Troy Davis tend à démontrer que leur justice continue d'appliquer une vision en noir et blanc.