La déroulement des premières élections législatives depuis la chute d’Hosni Moubarak se précise : le scrutin devrait débuter le 28 novembre. Déjà, Frères musulmans, anciens du PND et militants démocrates de la place Tahrir s'activent.
Le calendrier pour sortir de la période de transition post-Moubarak commence à se dessiner. Du 21 novembre au 3 janvier 2012, devraient se tenir les premières élections législatives pour l’Assemblée du peuple. Elles se dérouleront en trois phases. L’information a filtré via la chaîne de télévision Al-Arabiya et le quotidien égyptien Al-Ahram, qui citent le président de la commission électorale égyptienne. L’élection du Conseil de la Choura (le Sénat) aura lieu entre le 22 janvier et le 4 mars. En revanche, aucune date n'a fuité concernant la présidentielle. L’annonce officielle de ce calendrier, et du déroulé exact du suffrage, sera effectuée le 27 septembre.
Depuis le 11 février, date du départ du président Hosni Moubarak, le Conseil suprême des forces armées (CSFA) tient les rênes du pays tout en promettant de s’en dessaisir dès le processus électoral achevé. D’abord annoncées pour septembre, les élections ont été repoussées en juillet. Cette décision a été un soulagement pour ceux qui ont mené la révolution du 25 janvier et qui ne s’estimaient pas prêts à affronter une campagne électorale, considérant que les Frères musulmans avaient une longueur d’avance en termes d’organisation et d’implantation.
"En juin dernier, les Frères étaient prêts et leur campagne organisée. Ils prospectaient dans les villages et dans les quartiers périphériques du Caire", explique Sonia Dridi, correspondante de France 24 dans la capitale égyptienne. "Ils ont fait pression pour que les élections ne soient pas trop retardées."
Les Frères musulmans au sein de la Coalition démocratique
Bien qu'observée à la loupe, l’importance que prendront les Frères musulmans aux prochaines élections reste difficile à apprécier. "Personne ne sait combien d’adhérents comptent le Mouvement", constate Claude Guibal, journaliste sur place."Mais ce mouvement politique est le plus structuré de tous, ils ont une grande avance. Les Frères font campagne depuis soixante ans grâce à leur maillage associatif et caritatif. L’opposition, elle, peine à se structurer."
Hors du Caire, les Frères affichent une présence incontournable. Ils dirigent banques, hôpitaux et centres de rééducation, proposent des écoles gratuites et gèrent des organisations caritatives. Le n°2 des Frères, Rashad al-Bayoumi, expliquait dans un entretien accordé au Der Spiegel, en février dernier : "Nous ne savons pas combien de membres regroupe notre mouvement. Le gouvernement parle d'un chiffre compris entre 3 et 4 millions. Mais nous ne comptons pas. Nous savons simplement que nous sommes partout, dans chaque ville, chaque village, chaque rue."
Le mouvement islamiste, créé en 1928 et interdit depuis 1954, pourra se présenter en novembre. Il a toutefois promis de ne pas briguer plus de 40% des 504 sièges au Parlement. "Nous avons réduit nos candidatures de 50 à 40%, maintenant que nous avons rejoint la Coalition démocratique", a expliqué au quotidien égyptien Al-Masry l’un des responsables - Azab Mostafa - du Parti pour la liberté et la justice, formation initiée par la confrérie (la Coalition démocratique pour l’Égypte regroupe, entre autres, les partis néo-Wafd, Liberté et justice, Al-Ghad, Al-Nour...).
La stratégie des Frères musulmans semble donc consister à minorer leur participation aux futures institutions. "Ils cherchent à ne pas faire peur. Leur but, depuis la révolution, est de montrer qu’ils sont fréquentables. Les salafistes les aident beaucoup : ce sont eux qui foutent la trouille. Les Frères musulmans jouent les bons élèves du jeu démocratique, marchent au pas de l’armée… et en récoltent le bénéfice immédiat : la reconnaissance politique", remarque Claude Guibal.
Selon cette observatrice de la politique égyptienne, les Frères musulmans souhaitent influencer, par le jeu d’alliance, la future Constitution. "Ils veulent une islamisation en profondeur et concocter une constitution à leur goût. Mais ils sont intelligents : ils ne veulent pas prendre le pouvoir tout de suite, ne serait-ce que parce que la tâche du prochain gouvernement s'annonce très lourde."
Une liste noire des anciens du PND
Outre les Frères musulmans, beaucoup d’activistes du mouvement du 6-Avril cherchent à contrer les anciens caciques du Parti national démocrate (PND) d’Hosni Moubarak.
Le mouvement du 6-Avril, né des révoltes ouvrières et étudiantes de 2008 et qui regroupe des pro-démocrates présents place Tahrir, a lancé une campagne pour traquer les ex-membres du PND. Ces activistes ajoutent même sur leur liste rouge des candidats, qui, sans être d’anciens membres du PND, en étaient toutefois proches ou réputés pour leur politique corrompue. "Le PND n’avait pas d’idéologie. Ce parti appliquait seulement la politique du clientélisme. Il fallait passer par lui pour tout et n’importe quoi", rappelle Claude Guibal.
Face à ces anciens du PND, les démocrates cherchent à s’organiser, malgré les dissensions. "Les alliances entre partis démocrates se forment dans le but premier de faire front contre les ex du PND", observe Sonia Dridi.
Ceux qui veulent définitivement tourner la page Moubarak, sans pour autant ouvrir un chapitre Frères musulmans, ont le choix entre les partis historiques d’opposition et les mouvements issus de la place Tahrir. Parmi les références historiques, citons le parti de gauche Hizb al-Tagammo "National Progressive Unionist Party" ou encore Hizb Al-Adl, parti centriste baptisé "Justice" au sein duquel militent bon nombre d’écrivains et d’intellectuels. "Il y a quatre ou cinq mois, cette formation avait le vent en poupe. Les jeunes activistes se rendaient aux meetings dans le grand parc d'Al-Azhar", se souvient Sonia Dridi. "Le débat a longtemps divisé ceux qui voulaient d'abord une Constitution et ceux qui souhaitaient des législatives avant tout. Maintenant, le champ politique est ouvert. Les cartes ne sont pas clairement distribuées et l’importance de chaque parti demeure incertaine."La Coalition des jeunes pour la révolution, qui regroupe ceux qui ont mené les manifestations de la place Tahrir, va elle aussi présenter des listes.
"Il y a un désaccord entre l'armée et les formations politiques. Le scrutin à la proportionnelle a la préférence des partis, tandis que l'armée souhaite un scrutin uninominal pour 50% des circonscriptions", explique la correspondante de France 24.
Quant au mouvement du 6-Avril, il s’est scindé sur la base de son éventuelle transformation en parti politique. "Certains de ses responsables vont se présenter sur des listes, mais de façon indépendante", affirme Tarik Khouli, cadre dudit mouvement.
Sous les restrictions de la loi d'urgence
Le processus électoral et les détails du calendrier devraient être dévoilés par le Conseil suprême des forces armées, le 26 septembre. Déjà, l’organisation Human Rights Watch (HRW) s’inquiète de la transparence du scrutin. "D’après les informations informelles dont nous disposons, l’accès aux salles de dépouillement sera très restreint, voire impossible, aux observateurs extérieurs", s’alarme Heba Morayef, responsable de HRW au Caire.
Autre sujet d’inquiétude : la garantie des libertés de réunion et d’expression. Or, la loi d’urgence, en vigueur sous Moubarak, permet non seulement de recourir à des tribunaux d’exception et de limiter certaines libertés publiques, mais elle a été durcie la semaine dernière par les militaires, après l’attaque contre l’ambassade d’Israël, le 9 septembre. Les restrictions supplémentaires concernent le droit de grève, les entraves à la circulation et à la diffusion de rumeurs. Vendredi dernier, cette décision a précipité des centaines de manifestants dans la rue.
"Bien sûr, l'armée ne peut se permettre d’arrêter tous les rassemblements politiques. Bien sûr, la pression de la rue est telle que les militaires n’osent plus arrêter des activistes de premier plan, comme ils le faisaient aux mois de mars et d’avril", explique Heba Morayef. "Mais ils menacent régulièrement d’appliquer ce texte rien que pour faire peur. Je m’inquiète aujourd’hui pour les militants anonymes, ceux qui ne sont pas dans le cercle des activistes en vue et qui peuvent être arrêtés sans médiatisation et sans aide de notre part."