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Carnet de route en Martinique

Envoyé spécial aux Antilles – La mobilisation contre la vie chère se poursuit en Guadeloupe et en Martinique, où depuis plusieurs semaines les grèves paralysent l'activité économique. Suivez le carnet de route de nos envoyés spéciaux Eve Irvine et Willy Bracciano.

Posez vos questions à nos envoyés spéciaux aux Antilles, Eve Irvine et Willy Bracciano, en cliquant ici.

Jeudi 19 février

Willy Bracciano s’est rendu en Guadeloupe pour couvrir les derniers évènements qui ont secoué l’île. Vous pouvez suivre ses reportages en cliquant ici.

Lundi 16 février - Jour de manifestation

Un assourdissant concert de klaxons donne le ton de la journée. Ce sont les chauffeurs de bus qui gagnent Fort-de-France pour manifester contre la vie chère.


Les marchands ambulants ont installé leurs étals très tôt le matin. Passage obligé pour les manifestants qui viennent se nourrir avant de battre le pavé pendant plusieurs heures.


Il est 10h30. Le cortège démarre timidement. En quelques minutes, des gens affluent de partout pour gonfler les rangs. Ils sont 3 000, 6 000 puis 10 000 à envahir les rues. Un peu moins que la première manifestation, mais le collectif intersyndical qui a appelé à la grève semble s’en satisfaire.


Le soleil est au zénith. Il fait au moins 28°C et les slogans fusent : "Lévé Matinik, lévé ! Nou pa vini pou rigolé. Nou ka mandé bésé lé pri pou manjé !" ("Debout Martinique ! Nous ne sommes pas là pour rigoler. Nous demandons de baisser les prix pour manger !"), "Nou paké moli" ("On ne va pas céder").

Le tout dans une ambiance presque carnavalesque. Il faut dire que le collectif avait appelé au calme pour éviter tout débordement comme à la Guadeloupe.


Nous avons cherché les CRS et les gardes mobiles. Pas un seul aux abords du cortège.

Les seules forces de l’ordre que nous avons aperçues montaient la garde devant la préfecture, où se tenaient les négociations qui n’ont encore une fois rien donné.
   

Dimanche 15 février - Onzième jour de grève


Le boulevard Général-de-Gaulle, une des principales artères de Fort-de-France, est très animé ce dimanche matin.
De nombreuses voitures circulent et une agréable odeur de poulets "boukanés" (poulet fumé) parfume l'air.

L'espace d'un instant, on croirait que la vie reprend. Mais la longue file d'attente devant la station-service devant laquelle nous passons vient nous rappeler la réalité. C'est la grève à la Martinique.


Une grève qui n'est pas prête de voir son épilogue, puisque le collectif intersyndical du 5 février vient juste d'accepter de reprendre les négociations, dès lundi, avec les patrons et les élus.


Mais attention, il faut que la grande distribution accepte de signer dès lundi un protocole ratifiant la baisse de 20% du prix de 100 produits de première nécessité.

Sinon le collectif menace de claquer à nouveau la porte des négociations.


Mais avant, ça va chauffer dans la rue, puisqu'une grande manifestation est programmée ce lundi 16 février.

Une journée-test pour le collectif : on verra si la Martinique est toujours mobilisée.

A la tombée de la nuit, sur le même boulevard Général-de-Gaulle, …nous rencontrons Cédric. Il est marin-pêcheur.

Mais ce soir, il vend à la sauvette des ignames qu'il cultive sur un petit lopin de terre à la campagne.

L'igname est au Martiniquais ce que la pomme de terre est au Métropolitain.


Cédric nous confie qu'il est obligé de vendre ces ignames en complément de ses produits de la pêche, …car les temps sont devenus de plus en plus durs.

A trois euros le kilo, ça fait un peu cher l'igname. Décidemment, tout est devenu bien cher à la Martinique.

Samedi 14 février - L'heure des négociations


Il est 9 heures. Le collectif du 5 février (le mouvement qui mène la grève en Martinique), l'Etat, les collectivités territoriales et les élus doivent entamer des pourparlers.


D'importantes discussions doivent avoir lieu. Objectif : trouver un accord pour sortir de la crise. Curieusement, la salle de réunion de la Préfecture est presque vide. Les protagonistes sont en retard.


Lorsque nous demandons si la réunion démarre bien à 9 heures, l'un des intervenants nous glisse ironiquement : "Oui, à 9 heures. Mais heure martiniquaise." En clair, il ne faut pas être pressé.


La rencontre débute avec une heure de retard. Une rencontre pour rien puisque le collectif a rompu les discussions dans l'après-midi, estimant que la grande distribution ne jouait pas le jeu.


Le collectif souhaite que la baisse de 20 % s'applique sur des produits de première nécessité, tels que le riz ou le sucre, et non sur une marque par produit.


La grève continue. Certaines voix s'élèvent pour dénoncer le manque de cohérence dans le collectif et sa désorganisation, contrairement à leurs collègues guadeloupéens.


Seul point positif de cette journée : plusieurs familles ont pu se ravitailler auprès des quelques commerces de proximité qui ont rouvert leurs portes. Près de la moitié des stations-services ont été réquisitionnées, permettant aux automobilistes de passer à la pompe. Parfois dans une ambiance tendue.


Une mère de famille de trois enfants nous confie son angoisse car elle doit subvenir aux besoins de sa famille. Or, aujourd'hui, son réfrigérateur est vide.

A la station-service, un homme d'un certain âge attend depuis 5h30 du matin. Quand le carburant arrive, le pompiste privilégie d'abord ses amis. Le vieil homme sera servi bien longtemps après eux.


 

Vendredi 13 février - Les touristes sont au rendez-vous


Déjà, dans l'avion, c'est frappant :  les touristes n'ont pas résisté à l'appel des îles. L'appareil en est plein à craquer.


La grève ne semble pas les effrayer. C'est ce que nous confient, en tout cas, certains d'entre eux devant le comptoir de location de voitures. Un couple de Bretons se dit même solidaire du mouvement de grève. Et qu'importe leur petite semaine au soleil en pâtit.


Ce père de famille, accompagné de ses trois enfants, en revanche, se montre plutôt contrarié. Il n'a pas pu annuler son séjour : sa location soldée, il lui était impossible de récupérer son argent.

L'autoroute reliant l'aéroport à Fort-de-France est anormalement déserte. En temps normal, à cette heure, il faut plutôt prendre son mal en patience dans les embouteillages.


Si vous cherchez les voitures, il faut vous rendre devant les stations-services. Des dizaines de voitures sont stationnées dans l'attente d'un hypothétique approvisionnement. Certains y passeront la nuit.