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"Circumstance", charge sensuelle contre la République des mollahs

, envoyé spécial à Deauville – En compétition à Deauville, "Circumstance" suit deux jeunes Iraniennes s'abandonnant à l'amour qu'elles éprouvent l'une pour l'autre. Entretien avec l'une des comédiennes, Sarah Kazemy (à dr.), qui signe avec ce film ses débuts au cinéma.

C'est seule que l'actrice Sarah Kazemy, 23 ans, est venue lundi à Deauville pour défendre "Circumstance", qui concourt pour le Grand Prix du festival. Premier long-métrage de l'irano-américaine Maryam Keshavarz, ce "drame familial et amoureux", comme le définit la comédienne, est l'unique film de la compétition dont l'action se déroule hors des frontières américaines.

Le décor ? L'Iran et les soirées branchées de Téhéran que fréquentent assidument Atafeh (Nikohl Boosheri) et Shirin (Sarah Kazemy). Dans ce pays où "toute activité illégale est acte de résistance", les deux jeunes filles s'abandonnent à l'amour qu'elles éprouvent l'une pour l'autre. Au grand dam de Mehran, le frère d'Atafeh, ancien toximane et noctambule repenti que la police des mœurs vient tout juste d'accepter dans ses rangs.

Tourné à Beyrouth, au Liban, "Circumstance" se veut une charge sentimentale - et sensuelle - contre la très conservatrice République des mollahs. Un brulôt à qui le public du dernier festival de Sundance, aux Etats-Unis, a réservé son prix.

Entretien avec Sarah Kazemi, jeune comédienne irano-française vivant à Paris, que la prestation dans "Circumstance" interdira dorénavant de territoire iranien.

Avant "Circumstance", vous n'aviez encore tourné dans aucun film. Comment s'est passée votre rencontre avec la réalisatrice Maryam Kershavaz ?

Sarah Kazemy: Maryam a organisé des castings partout dans le monde. Elle cherchait des Iraniens de l'étranger parlant persan et, si possible, anglais. Il aurait été délicat de demander à des acteurs vivant en Iran de jouer dans le film sachant que l'on mettrait leur vie en péril.

Lors du passage de Maryam à Paris, un ami que nous avons en commun m'a poussée à auditionner car il connaissait mon amour pour le cinéma iranien. J'étais alors étudiante en droit et n'avais pas un pied, ni même un orteil, dans le monde du spectacle. Comme je n'avais rien à perdre, je n'avais aucune raison d'être anxieuse, et cela a sûrement joué en ma faveur.


Comment se prépare-t-on à interpréter le rôle d'une jeune lycéenne iranienne quand on a encore aucune expérience de la comédie ?


S. K.: Pendant toute une année, mes partenaires à l'écran et moi-même avons travaillé en amont sur la langue persane. Au début, on aurait cru une comédie : moi, j'avais un accent français, Nikohl Boosheri [qui interprète Atafeh] un accent canadien et Reza Sixo Safai [Mehran] un accent américain. Nous ressemblions davantage à des immigrés perdus dans Téhéran qu'à de véritables Iraniens. Notre persan était, en outre, celui que nous avaient enseigné nos parents : un persan soutenu et désuet qui fait rire en Iran.

Puis un mois avant le début du tournage, je suis partie à Téhéran pour m'imprégner de l'atmosphère. J'ai eu beau baigner dans la culture persane dès le plus jeune âge, lorsque je me rends là-bas, j'ai l'impression de ne pas saisir tous les codes. Le regard que je porte sur la société et la jeunesse iraniennes reste un regard occidental.

Sélectionné, ici, à Deauville, "Circumstance" l'a également été au festival du film indépendant de Sundance, aux Etats-Unis, où il a reçu le prix du public. Que représente pour vous cette distinction ?

S. K.: Etre présents à Sundance constituait déjà un événement en soi alors y recevoir un prix... Nous ne nous y attendions pas. Le film est en persan, il se passe à Téhéran, nous craignions donc que le public américain ne se sente pas concerné. Mais il s'est avéré que les spectateurs se sont sentis "connectés" avec cette histoire d'amour contrariée. Certains nous ont confié avoir vécu des situations similaires dans leur pays. Même en Chine !


En quoi "Circumstance" a-t-il une portée universelle ?

S. K.: Il s'agit avant tout d'un drame familial et amoureux, d'un portrait d'une jeunesse éprise de liberté mais qui, pour des raisons X ou Y, est obligée de faire des concessions. Cela aurait pu se passer dans n'importe quel pays. La liberté que le personnage d'Atafeh fantasme, elle pense la trouver à Dubaï, alors qu'un Français, lui, rêvera plus facilement des Etats-Unis. "Circumstance" interroge la manière dont la jeunesse gère ce vers quoi elle aspire.

Les personnages du film perdent pied parce qu'ils n'arrivent pas à gérer leur condition. Après s'être longtemps drogué, Mehran finit par intégrer la police de mœurs. Il passe d'un extrême à l'autre parce qu'il est perdu. Et le modèle de vie qu'il se choisit au final est la garantie, pense-t-il, d'un avenir meilleur.

C'est cette même quête d'identité qui anime les deux héroïnes. Elles aimeraient réaliser leurs rêves mais doivent accepter que la réalité prenne le dessus. Elles doivent faire des choix. Le personnage de Shirin, que j'interprète, aurait bien fui le pays mais sait que son environnement familial ne le lui permet pas. Atafeh, que ses parents ont au contraire toujours soutenue, peut oser franchir le pas.
 

Vous-même avez dû faire un choix : en acceptant de jouer dans "Circumstance" vous saviez que vous ne pourriez plus vous rendre en Iran...

S. K.: Ce fut une décision difficile à prendre. Jusqu'à l'âge de 17 ans, je m'y rendais chaque année. J'aime profondément l'Iran, j'aime le pays, les gens, sa culture. J'y suis très attachée. C'est moi qui, plus jeune, ai souhaité apprendre le persan.


Quel rapport entretenez-vous avec le cinéma iranien ?

S. K.: J'ai été élevé là-dedans : Abbas Kiarostami, Mohsen Makhmalbaf, Majid Majidi,... "Où est la maison de mon ami ?" de Kiarostami m'a chamboulée lorsque j'étais toute jeune. Car cela touche à ma culture.

J'ai été touchée par le récent succès en France de "Une séparation" d'Asghar Farhadi [sorti début juin, le film flirte avec le million d'entrées dans l'Hexagone ndlr]. En tant qu'Iranienne, j'ai été flattée par le fait qu'il ait eu un impact sur le public français et international. Cela signifie que les gens ont été séduits par l'histoire, par les personnages mais aussi par la poésie qui s'y dégage.

Je ne sais si "Circumstance" aura le même succès en France [sortie prévue le 28 décembre ndlr]. Il a en tout cas reçu un accueil chaleureux aux Etats-Unis, où il vient de sortir. Mais le film ne nous appartient plus désormais. C'est au public de juger.