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Ed Ou, le jeune photographe qui a rendu visible les enfants-soldats de Somalie

, envoyée spéciale à Perpignan – Le Canadien Ed Ou, 24 ans, expose à Perpignan son travail sur les enfants-soldats de Somalie. Propulsé star du photojournalisme en moins de cinq ans, celui-ci a reçu le prestigieux prix 2011 du jeune photoreporter de la Ville de Perpignan.

Simplement en entendant le son de sa voix, une journaliste du "New York Times" et sa consœur de l'"International Herald Tribune" s'arrêtent, se retournent pour le saluer et veulent prendre rendez-vous. Dans les rues de Perpignan, où se croisent tous les photojournalistes de la planète à l'occasion du festival Visa pour l'Image qui se déroule actuellement, Ed Ou ne peut pas marcher 200 mètres sans être sollicité. Propulsé star de la manifestation grâce à sa série sur les enfants-soldats de Somalie qui lui a valu de recevoir le prix 2011 du jeune photoreporter de la Ville de Perpignan, le jeune Canadien n'est pourtant pas un baroudeur de l'actualité internationale ayant couvert maints conflits. Ed Ou n'a soufflé que 24 bougies, et six en tant que photojournaliste.

Sa carrière a démarré au Proche-Orient. La légende veut qu'à peine âgé de 18 ans, il ait saisi l'opportunité de vivre dans cette région tourmentée pour prendre sa caméra et capturer l'Histoire dans un boîtier noir. "Je suis allé directement au Sud-Liban, en 2006, rejoindre les photographes de guerre dans leur hôtel. J'en connaissais déjà deux ou trois, parmi les jeunes. Mais les plus âgés m'ont regardé, interloqués, en se demandant : 'Qu'est-ce que ce gamin fait donc là ?' Moi, j'avais simplement très envie d'être présent ici, de faire partie des photographes de guerre."

Ses anges gardiens : les agenciers de Reuters et d'Associated Press (AP). "Ce sont des journalistes très sérieux, humbles, qui connaissent très bien leur travail et bossent collectivement. Ils m'ont pris sous leur aile. J'ai pu vendre mes premières photos 50 dollars - une poignée de cacahuètes ! - grâce à eux. Mais cela n'avait pas d'importance, j'étais surtout là pour engranger de l'expérience."

L'audace du jeune photographe finit toutefois par payer. Bientôt, son nom est inscrit dans le carnet d'adresses des rédacteurs en chef de Reuters et d'AP basés à Jérusalem. "Travailler pour des agences sur le conflit israélo-arabe a été une école formidable. Là-bas, nous sommes tellement de journalistes sur le terrain qu'il faut constamment se surpasser pour se distinguer !"

Alors qu'il n'a pas fini ses études - il étudie l'arabe et l'hébreu, ainsi que les relations internationales -, Ed Ou a déjà couvert au quotidien l'un des conflits les plus médiatiques de la planète.

"J'ai eu mon diplôme en me disant : j'ai déjà un job !", se souvient aujourd'hui le jeune homme, le sourire de la chance sur les lèvres. Ambitieux, doué, intelligent, cet esprit rapide parle aussi à toute vitesse, s'excuse parce qu'il a bu trop de cafés, peste contre les déjeuners professionnels de Perpignan qui durent trois heures, et demande régulièrement dans la conversation : "Ce n'est pas trop le foutoir, ce que je raconte...?"

Le scoop qui fait des vagues jusqu'au Congrès américain

Puis, après des travaux qui l'ont conduit au Kenya et au Khazakstan, Ed Ou réalise sa série sur les enfants-soldats de Somalie exposée aujourd'hui à Perpignan. "J'étais déjà allé dans le pays en 2007, puisj' y suis retourné à plusieurs reprises", explique-t-il. L'idée de s'intéresser aux enfants-soldats, Ed Ou l'a eu "un jour, en [s']approchant de l'avenue principale de Mogadiscio transformée en ligne de front entre les forces du gouvernement de transition et les milices shebab. Là, j'ai vu de jeunes enfants avec des armes à la main. J'ai voulu comprendre qui ils sont et par qui ils sont employés".

En Somalie, Ed Ou travaille avec le correspondant du "New York Times" dans la Corne de l'Afrique, Jeffrey Gettleman, pendant des séjours très courts. "Les conditions de travail sont très difficiles en Somalie, particulièrement à Mogadiscio. Nous devions être escortés par une quinzaine de personnes armées partout où nous allions, et nous ne pouvions pas rester plus de trois jours sur place. Dès le premier jour, nous savions que nous avions été repérés et que nous étions la cible potentielle d'un enlèvement."

Malgré ces conditions difficiles, Ed Ou parvient à saisir les enfants armés de leur Kalachnikov dans des moments où leur vigilance baisse d'un cran : le soir dans leur chambre, par exemple, ou lorsque ceux-ci vont piquer une tête dans la mer, l'après-midi. "J'ai voulu montrer ces enfants au cours d'activités normales pour leur âge. Mais c'était très difficile de leur parler. Ils ont une carapace déjà épaisse et ont un rôle à jouer devant leurs pairs pour se faire respecter."

Avec Jeffrey Gettleman, Ed Ou publie également une enquête approfondie parue en juin 2010 dans le "New York Times" qui montre que l'administration américaine est consciente de la présence de ces enfants-soldats au sein des forces gouvernementales somaliennes, que Washington encadre et soutient pourtant. L'affaire est remontée jusqu'au Congrès...

Aujourd'hui, Ed Ou, qui a également couvert la révolution égyptienne pour le "New York Times" au début de l'année et signe chez Getty Images, est devenu la coqueluche de la nouvelle génération de photographes à Perpignan. Tous tentent de connaître ses projets, à sympathiser... et le cherchent au Café de La Poste, lieu de rendez-vous incontournable des soirées perpignannaises. Le caustique Peter Dench, qui expose également à Visa pour l'Image, en fait d'ailleurs le sujet d'un tweet humoristique : "Conversation dans un pub : "Où est Ed Ou? Who ? Ed Ou ! You? Ah, you Ed Ou ! Non!" #démence."