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Le difficile processus de dégel des avoirs du clan Kadhafi

La question de la restitution des avoirs du clan Kadhafi au peuple libyen devrait être au centre des discussions lors du sommet à Paris "des amis de la Libye" ce jeudi. Malgré les bonnes volontés affichées, le processus pourrait être long.

La bataille pour récupérer les avoirs de Mouammar Kadhafi gelés dans plusieurs pays occidentaux a commencé. Une priorité absolue pour le Conseil national de transition (CNT) : "le succès de la reconstruction dépendra du dégel de cet argent", a ainsi prévenu, il y a une dizaine de jours Mahmoud Jibril, le numéro deux de l’organe politique des opposants au leader libyen en fuite.

Plusieurs États occidentaux ont entendu cet appel à l’aide. La France a obtenu, jeudi, de l'ONU l'autorisation de débloquer 1,5 milliard d’euros, soit un cinquième des 7,5 milliards d’euros d’avoirs libyens qui se trouvent dans des banques françaises. Mardi, la Grande-Bretagne avait, elle aussi, reçu le feu vert du Comité des sanctions pour transférer au CNT environ 1 milliard d’euros, de même que les États-Unis la semaine dernière.

Pour débloquer cet argent, ces pays doivent en effet obtenir en premier lieu l’accord du Conseil de sécurité de l’ONU qui avait voté, en février dernier, le gel international des avoirs de Mouammar Kadhafi.

La restitution de la fortune - estimée entre 80 et 170 milliards d'euros - que le clan Kadhafi a amassée durant ses 42 ans de règne ne se fera pas en une nuit. Il faut déjà réussir à localiser l’intégralité de cet argent dont "seule une petite partie a été retrouvée pour l’instant", souligne Fabrice Marchisio, avocat français au cabinet Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral, spécialiste du recouvrement d'actifs frauduleusement acquis.

Ensuite "il ne suffit pas de faire un chèque ou un virement au nouveau pouvoir pour régler ce genre d’affaire", résume le spécialiste. Il rappelle que les Philippins ont dû batailler 20 ans en justice pour ne récupérer au final qu’une petite portion de l’argent que le général Ferdinand Marcos avait détourné durant sa présidence entre 1965 et 1986.

Volonté politique

Le processus dépend en fait beaucoup de la volonté politique des États. Fabrice Marchisio observe ainsi avec intérêt la volonté exprimée par Paris de rendre au CNT une partie des avoirs gelés alors que "jusqu’à présent la France n’avait jamais restitué de l’argent mal acquis de dirigeants étrangers qui se trouvait sur son sol". "Il est évident que Nicolas Sarkozy espère en retour que les industriels français puissent bénéficier de contrats lors de la phase de reconstruction de la Libye", ajoute-t-il.

Mais volonté ne signifie pas empressement. Dans sa résolution décidant du gel des avoirs en février, le Conseil de sécurité a appelé les États à "la prudence" lorsque le temps sera venu de rendre l’argent au peuple libyen. "La prudence peut signifier attendre un peu car il serait par exemple catastrophique pour les pays occidentaux si des membres d’Aqmi [Al-Qaïda au Maghreb islamique, NDLR] s’infiltraient au CNT et récupéraient une partie de l’argent", analyse Fabrice Marchisio.

L’option du "plea-bargaining"

Cette vigilance peut prendre la forme de conditions qui seraient posées au CNT par les États qui rendent l’argent. La convention de Mérida signée sous l'égide de l'ONU en 2003 et ratifiée par 143 pays a inscrit le principe et les modalités de la restitution des biens mal acquis dans le droit international. Elle octroie aux États une large marge de manœuvre pour s’assurer que l’argent est remis à la population et ne finit pas entre de mauvaises mains.

"La Suisse a ainsi finalement accepté en 2008 de rendre aux Philippins les avoirs du général Ferdinand Marcos à condition que leur utilisation soit supervisée par la Banque mondiale", rappelle Fabrice Marchisio.

Mais les tractations sur les conditions de remise des avoirs peuvent prendre des années et ceux qui se sont donnés pour mission de diriger la Libye dans les huit prochains mois n’ont pas forcément beaucoup de temps. La semaine dernière, le CNT a souligné avoir un besoin urgent de 5 milliards de dollars pour des raisons humanitaires.

Une autre voie existe cependant pour accélérer le processus. "Personnellement, je proposerais aux nouveaux dirigeants libyens d’avoir recours à la procédure de plea-bargaining", explique Fabrice Marchisio. "Il s’agit de mettre en place une loi qui garantirait l'abandon des poursuites pénales et civiles contre Kadhafi et ses proches, en échange de quoi, ils s'engageraient à remettre au nouveau pouvoir entre 80 et 90 % de leur fortune", explique l’avocat. Une procédure qui aurait l’avantage d’être "pragmatique" mais qui risque de choquer les Libyens qui ont souffert sous le régime de Mouammar Kadhafi et de contrarier la Cour pénale internationale qui a lancé, fin juin, un mandat d’arrêt contre Mouammar Kadhafi.