correspondante à Madrid – Le juge Garzon renonce à instruire lui-même son enquête sur les disparitions de républicains espagnols, victimes d'exécutions sommaires lors du régime franquiste, au profit de tribunaux locaux. Il estime que son tribunal n'est pas compétent.
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C'est sans doute à contrecœur que le juge Baltasar Garzon a rédigé et signé ce procès-verbal. Un document de 152 pages, dans lequel il se dessaisit de l'enquête-fleuve sur les disparus du franquisme au profit de tribunaux locaux. Il déclare que l'Audience nationale, le tribunal dont il dépend, "perd sa compétence" sur ce dossier. Il constate de même l'extinction de l'action pénale visant l'ancien dictateur Francisco Franco, ainsi que 44 autres dirigeants du régime.
Le juge s'incline face à la fin de non-recevoir du Parquet, qui ne l'estime pas compétent pour traiter du dossier ; ceci en vertu de la loi d'amnistie de 1977 qui prescrit les crimes du franquisme. En prenant lui-même cette décision, Garzon devance l'avis que devait prochainement rendre le Collège des juges de l'Audience nationale.
La déception des proches des victimes
La décision du juge Garzon éloigne un peu plus les familles de victimes du franquisme de leur but : retrouver les corps de leurs proches et récupérer leurs dépouilles, grâce aux moyens de la justice. "Nous allons étudier en profondeur le procès-verbal du juge Garzon dans les prochains jours, et analyser quels seront les recours possibles. De toute façon, c'est une mauvaise nouvelle. Nous pâtissons des circonstances sociétales et politiques", regrette Fernando Magan, l'avocat de l'Association pour la récupération de la mémoire historique (ARMH). En cause, selon les proches de victimes, la trop forte pression médiatique et politique d'une partie de la société espagnole qui refuse toujours de "rouvrir les blessures du passé", pour reprendre l'expression du leader du Parti populaire (conservateur) Mariano Rajoy.
"Je suis au chômage, c'est la crise pour nous aussi", ironise Julian Casanova, historien spécialiste du franquisme faisant partie du collège d'experts nommés par Garzon dès l'ouverture de son enquête. Selon le chercheur, remettre le dossier entre les mains de tribunaux locaux "va faire dépendre les requêtes des proches de victimes du bon vouloir arbitraire de chaque juge local. On ne peut rien faire comme ça". Pour l'heure, l'ouverture des fosses communes est de toute façon suspendue, y compris au niveau des juridictions locales, puisque l'Audience nationale a bloqué les ordres d'exhumation promulgués par Garzon.
400 fosses communes à ouvrir
Depuis 2000, l'ARMH a entamé le processus d'exhumation des corps avec ses propres moyens. L'association a contribué à ouvrir le débat au sein de la société, et selon Julian Casanova, le processus de récupération de la mémoire historique "ne peut plus être arrêté. Avec la loi sur la mémoire historique votée l'an dernier, l'Etat a, en théorie, les moyens d'agir". "Le problème est que la loi n'a jamais été appliquée, s'insurge-t-il. Maintenant, c'est au ministère de la Justice de lancer une enquête au moyen du collège d'historiens déjà constitué par Garzon, puis qu'on s'occupe des victimes sur cette base." L'association estime à 400 le nombre de fosses communes qui restent à ouvrir, et n'exclut pas de porter le dossier des disparus du franquisme devant les instances juridiques européennes et internationales.