logo

Les très riches Français prêts à payer plus d'impôts pour mieux protéger leurs rentes

Dans une lettre ouverte publiée dans l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur, 16 patrons français déclarent accepter de verser une "contribution exceptionnelle". Une initiative bien dans l'air du temps, mais qui ne résout rien.

Le patronat français se "Warren-Buffet-ise"-t-il ? Le célèbre milliardaire américain a invoqué, dans une tribune publiée par le New York Times lundi 14 août,  un souhait pour le moins inattendu - être taxé davantage - dans un article titré "Arrêtons de chouchouter les riches". Une dizaine de jours plus tard, 16 grands patrons français lui emboîtent le pas dans Le Nouvel Observateur à paraître jeudi. Une lettre ouverte qui tombe à point nommé, en plein débat sur la nécessité de réduire les déficits publics.

Jean-Paul Agon, PDG de L’Oréal, Christophe de Margerie, patron de Total et Franck Riboud, PDG de Danone, notamment se prononcent à leur tour en faveur d’une "contribution exceptionnelle" qui concernerait les "contribuables français les plus favorisés". Un effort consenti, selon les signataires de cet "Appel de très riches Français", afin de préserver "un modèle français auquel [ils] sont attachés".

Mais pour plusieurs économistes interrogés par France24, l’initiative française n’aurait que peu à voir avec la proposition choc de Warren Buffet qui préconise une "augmentation immédiate du taux d’imposition des plus riches". "La différence essentielle est que les patrons français insistent sur une ‘contribution exceptionnelle' censée être calculée dans des proportions raisonnables’", analyse Xavier Timbeau, directeur du département analyse et prévision à l’Observatoire français des conjonctures économiques.

Une obole pour l'État

"Si Warren Buffet n’a probablement rien contre une augmentation de 30% de ses impôts, il n’est pas du tout certain que ces patrons français aient ce chiffre en tête en parlant de ‘proportions raisonnables'", craint cet économiste. Ils ont sans doute en mémoire un chiffre précédemment évoqué par les parlementaires - celui d’une augmentation de 1% environ. Un tel taux correspondrait à 150 000 000 euros en plus pour les caisses de l’État, soit "une obole, un geste presque indécent", estime encore Xavier Timbeau.

L’appel des patrons français serait également insuffisant parce qu’il n’évoque que l’impôt sur les revenus. "C’est bien beau de consentir à une petite augmentation de l’impôt sur le revenu quand, dans le même temps, les contribuables les plus riches ont bénéficié d’une diminution très forte de celui sur la fortune (ISF)", remarque Noam Leandri, secrétaire général de l’Observatoire des inégalités. Ce dernier soupçonne un tour de passe-passe comptable : ce que les plus riches auraient à payer en cas de nouvelle "contribution exceptionnelle" ne compenserait pas les économies réalisées grâce à la réforme de l’ISF.

"Il y a deux catégories de très riches : ceux dont les salaires sont très élevés et ceux dont la fortune est très importante", ajoute Xavier Timbeau. Les premiers - tels que les joueurs de foot ou les traders - ressentiraient une augmentation de l’impôt sur les revenus tandis que l’impact serait moins fort sur les autres, dont font partie les fameux signataires de l’appel. Leur richesse, plus diversifiée (actions, bien immobilier, etc.), leur permet en effet de soustraire une part plus ou moins importanteb de leurs capitaux à la taxation des revenus.

Vers une économie de rentiers

L’appel de ces 16 patrons a donc quelque chose "d’illusoire", aux yeux de Noam Leandri. Il ressemble à une tentative pour ces richissimes français de "jouer aux bons élèves de la République" et d'éviter des mesures autrement plus contraignantes. "Aujourd’hui, la taxation des plus riches est pourtant un vrai débat car nous sommes revenus à la situation du début du XXe siècle lorsque les plus aisés gagnaient jusqu’à 1 000 fois plus que les ménages les plus modestes", affirme Xavier Timbeau qui pointe le risque d’une multiplication de nouvelles dynasties d’héritiers et d’un glissement vers une économie de rentiers. "Dans cet hypothèse, la croissance serait freinée par le haut puisque les rentiers sont rarement des investisseurs", prévient-il.

Pourtant, les solutions existent pour mieux mettre les très riches à contribution. "Il faut, non pas se contenter d’une contribution exceptionnelle, mais augmenter la taxation des tranches les plus hautes de l’impôt sur les revenus", affirme Noam Leandri, reprenant l’idée de Warren Buffet. Cette proposition ne fonctionnerait qu’en "cas d’harmonisation fiscale européenne", prévient Xavier Timbeau. A défaut, en effet, les traders, sportifs et autres chefs d’entreprises iraient s'installer en Belgique ou au Royaume-Uni où le régime fiscal y beaucoup plus clément pour les grandes fortunes.