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Mouammar Kadhafi, 42 ans de pouvoir absolu

Malgré un ultime appel exhortant ses partisans à s'armer pour défendre Tripoli, l'excentrique leader libyen Mouammar Kadhafi est sur le point de perdre un pouvoir incontesté, 42 ans après son coup d'État. Portrait.

Au pouvoir depuis 42 ans en Libye, le colonel Mouammar Kadhafi est sur le point de tout perdre à la suite d’une révolte populaire qui s'est transformée en conflit armé. De violents combats se déroulaient lundi matin autour de sa résidence à Tripoli, au lendemain d'une offensive majeure lancée par les rebelles dans la capitale libyenne.

Carte de situation de Tripoli


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Ce colonel autoproclamé guide suprême de la révolution et "roi des rois traditionnels d'Afrique" est né le 19 juin 1942 dans une famille de bédouins, à Syrte, dans une région désertique du nord du pays. Il a 27 ans quand il renverse sans violence le vieux roi Idris Ier, le 1er septembre 1969. Inspiré par le président égyptien Gamal Abdel Nasser, il prône alors un régime fondé sur le socialisme islamique et le panarabisme, et abolit la monarchie pour créer la République arabe libyenne.

"Le chien fou du Moyen-Orient"
Démocratie directe, statut de la femme, réunification du monde arabe, religion... Le dirigeant libyen détaille sa vision du monde dans son "Livre vert" - en référence au "Petit livre rouge" du leader chinois Mao Zedong -, un texte en trois parties publié au cours des années 1970. À la fin de cette décennie, Mouammar Kadhafi est devenu le guide suprême de la révolution et son pays, rebaptisé "Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste", qui se veut un État gouverné par des comités populaires élus censés remplacer les partis. Mais dans les faits, la Libye est avant tout un État policier où toute activité politique indépendante est interdite et sévèrement réprimée.
La Libye est également, dans les années 1980, le paradis des radicaux anti-Occidentaux. Mise au ban de la communauté internationale, elle est accusée de soutenir le terrorisme palestinien et l'Armée républicaine irlandaise (IRA), et d'être directement impliquée dans l'attentat d'une discothèque de Berlin. En 1986, l'administration américaine conduite par Ronald Reagan, qui surnomme Mouammar Kadhafi "le chien fou du Moyen-Orient", bombarde la capitale libyenne.
En 1988, les tensions entre Tripoli et l'Occident atteignent leur apogée. Le 21 décembre 1988, un avion de la compagnie américaine Panam explose au-dessus de Lockerbie, une ville du sud de l'Écosse, et 270 personnes sont tuées. Deux ressortissants libyens sont alors accusés d'être responsables de l'attentat, mais Mouammar Kadhafi refuse de les livrer à la justice. "Il y a une grande différence entre la lutte contre l'impérialisme pour la liberté et le terrorisme", déclare-t-il le 22 mai 1989.
La Libye de retour sur la scène internationale
Les sanctions des Nations unies ne tardent pas à tomber : en 1992 et 1993, l'organisation impose au pays un embargo sur les armes, sur les liaisons aériennes, ainsi que sur le matériel destiné à l'industrie pétrolière, ce qui paralyse l'économie du 3e producteur de pétrole d’Afrique.
Isolé, Mouammar Kadhafi entame alors, à la fin des années 1990, un processus visant à réhabiliter la Libye sur la scène internationale. En 1999, il livre les suspects de l'attentat de Lockerbie à la justice écossaise, puis accepte de dédommager les familles des victimes. Les sanctions onusiennes sont levées en 2003.
En 2004, il renonce à son programme nucléaire. Redevenu fréquentable, le leader libyen ouvre également le pays aux entreprises anglo-saxonnes et libère en 2007 des infirmières bulgares détenues depuis huit ans dans les geôles du pays, affaire dans laquelle les autorités françaises se sont fortement impliquées. Connu pour ses tenues traditionnelles, ses lunettes de soleil ou ses femmes gardes du corps, Mouammar Kadhafi, qui ne se déplace jamais sans sa tente bédouine, est reçu dans les principales capitales occidentales, dont Londres ou Paris. Il milite en parallèle pour la constitution des "États-Unis d'Afrique".
La chute
Mais, en 2011, le vent de révolte qui souffle sur le monde arabe balaie les pouvoirs autoritaires en Tunisie et en Égypte, deux pays frontaliers de la Libye. Le "guide" libyen est touché à son tour par la contestation, le 15 février. En réaction, il se lance dans une campagne de répression implacable pour mettre un terme aux manifestations, notamment dans l’est du pays. Dans un discours aussi surréaliste qu’enflammé, il accuse les jeunes manifestants d’être "sous l'influence de drogues fournies par Al-Qaïda". Tandis que la région de Benghazi est rapidement conquise par les insurgés à la suite du ralliement de plusieurs cadres du régime et de l’armée, le colonel Kadhafi s’accroche au pouvoir et assure qu’il combattra "jusqu’à la dernière goutte de sang".
Après avoir maté la révolte en ouvrant le feu sur les manifestants dans la capitale Tripoli, les chars du colonel, appuyés par des avions, lancent une contre-offensive et menacent de reprendre Benghazi, la capitale des insurgés. À la mi-mars, le Conseil de sécurité de l’ONU vote alors la résolution 1973 qui autorise les États-membres de l’organisation à prendre "toutes les mesures nécessaires" pour protéger les civils de la répression des forces du dirigeant libyen. La France et le Royaume-Uni prennent la tête d’une coalition de 10 pays qui bombarde la Libye, avant que le commandement des opérations ne soit définitivement transféré à l’Otan. "Vos bombardements ne m'atteindront pas parce que des millions de Libyens me portent dans leur cœur", réplique Mouammar Kadhafi dans un message audio. Ce dernier, qui dénonce dans chacun de ses discours "l'alliance des croisés", réduit sensiblement ses apparitions publiques après la mort de l’un de ses fils, Seïf al-Arab, à la suite d’un bombardement de l'Otan, en avril, à Tripoli.
Lâché tour à tour par la Russie et la Turquie qui le ménageaient depuis le début du conflit, le colonel voit l’étau se resserrer sur son clan. D’autant plus que la Cour pénale internationale (CPI) lance, en juin, un mandat d'arrêt pour crimes contre l'humanité contre lui, son fils Seif al-Islam et le chef des renseignements, Abdallah Al-Senoussi. À la mi-août, les rebelles prennent le contrôle de Zaouïah, Gharyane et Sorman, trois villes-clés de l'ouest du pays, ouvrant la voie à la chute de Tripoli. Le 20 août, ils lancent l’opération "Sirène" et foncent sur la capitale. Pressentant la chute imminente de son régime, le colonel Kadhafi s’exprime trois fois en 24 heures pour affirmer qu'il ne se rendra pas et qu'il sortira "victorieux" de la bataille. Sur la place Verte, un lieu symbolique où ses partisans avaient l'habitude de se rassembler, le drapeau des rebelles a déjà remplacé celui du "guide".