Pour la première fois, le commissaire français à la diversité et à l'égalité des chances, Yazid Sabeg, a estimé que le CV anonyme ne devrait pas être généralisé, contrairement à ce que prévoit la loi de 2006.
Après avoir tant fait parler de lui, le curriculum vitae (CV) anonyme serait-il promis à l’oubli ? C’est en tout cas ce que sous-entend la déclaration du commissaire à la diversité et à l’égalité des chances, Yazid Zabeg, ce mercredi au quotidien Les Échos. "Je ne crois pas que le CV anonyme doive être obligatoire comme cela avait été envisagé [...] mais il devrait être une faculté parmi d'autres, que certaines entreprises utilisent d'ailleurs avec succès", affirme celui qui défendit ardemment en 2006 le texte de loi contraignant les entreprises de plus de 50 salariés à recourir à cette méthode de recrutement censée prévenir les discriminations à l’embauche.
Une pratique contre-productive
En vue du décret d’application de cette loi, le gouvernement avait commandé, fin 2009, à Pôle Emploi une étude sur l’expérimentation du CV anonyme, dont les conclusions ont été publiées en toute discrétion au mois de juillet. Rédigé conjointement avec le Centre de recherche en économie et statistiques (Crest), le rapport dresse un bilan peu positif de cette pratique.
Certes, écrivent les auteurs de l'étude, "le CV anonyme agit contre la tendance des recruteurs à privilégier des candidats du même genre qu'eux" mais il "n'a pas d'effet détectable sur les chances d'accès à l'emploi" et son impact sur la réduction des discriminations et "en moyenne neutre ou négatif."
Pis encore, la suppression des informations détaillant l'état civil (nom, prénom, adresse, téléphone, courriel, âge et sexe) pénaliserait les candidats issus de l’immigration et/ou résidants dans les zones urbaines dites sensibles. Avec un CV nominatif, ces derniers ont en effet une chance sur 10 d'obtenir un entretien, contre seulement une sur 22 pour celui qui envoie son CV de façon anonyme. Un résultat surprenant à première vue mais que les auteurs de l’enquête explique par le fait que "certains employeurs se montrent plus compréhensifs face aux carences d'un CV lorsqu'ils ont des informations sur l'origine du candidat". Une présentation maladroite, des fautes d'orthographe seraient ainsi mieux acceptées par le recruteur de la part d’un candidat d'origine étrangère.
Inscrit dans le programme du Parti socialiste
La conclusion du rapport de Pôle Emploi est donc sans appel : "La généralisation du CV anonyme ne semble pas se justifier". Si sa disparition programmée chagrine l’association À compétence égale qui milite depuis des années pour sa généralisation, elle ne la surprend pas pour autant. "Cette mesure seule n’était pas suffisante, explique Cyril Capel, son vice-président, contacté par France24.com. C’était une solution mais pas non plus la panacée."
Selon lui, son abandon aurait pu être évité si le CV anonyme avait été combiné à d’autres mesures. "Il aurait fallu mettre conjointement en place des formations de recruteurs, des formations de lutte contre les préjugés pour les personnels des ressources humaines", avance Cyril Capel qui se réjouit toutefois que le sujet face de nouveau l'objet d'un débat. "En parler, c’est déjà faire bouger les choses", estime-t-il.
La question devrait en outre refaire surface à l’occasion de la campagne pour la présidentielle de 2012 puisque le Parti socialiste a inscrit la généralisation du CV anonyme dans son programme électoral. Affaire à suivre...