Le Parlement algérien approuve une réforme constitutionnelle qui abolit la limitation à deux mandats présidentiels. Le Premier ministre sera chargé d'appliquer le programme présidentiel, ce qui met fin à un exécutif bicéphale.
L’Algérie a pour ainsi dire changé de régime politique. En adoptant mercredi 12 novembre une révision de la Constitution de 1996, le Parlement algérien a non seulement ouvert la voie à une présidence à vie d’Abdelaziz Bouteflika, qui jusqu’à présent ne pouvait briguer plus de deux mandats, mais également concentré les pouvoirs autour de la fonction présidentielle.
Désormais en effet, la fonction de chef de gouvernement est supprimée au profit de celle d’un Premier ministre qui ne provient pas forcément des rangs de la majorité parlementaire. Et celui-ci est chargé d’appliquer le programme du chef de l’Etat. En d’autres termes, cela signifie que le Parlement est quasiment réduit à une chambre d’enregistrement.
"Avant cette réforme, le gouvernement était issu de la majorité parlementaire et appliquait le programme de cette majorité, explique Farid Alilat, journaliste algérien à Paris. Maintenant que le Premier ministre doit appliquer le programme du président élu, le Parlement n’a plus aucun pouvoir."
"Bouteflika nous aligne sur les dictatures arabes"
Le bilan est également amer pour Fayçal Métaoui, journaliste au quotidien algérien El Watan. "L’Algérie vient de rentrer dans une régression démocratique", estime-t-il, constatant que les acquis ayant suivi les événements du printemps 1988 – et qui avaient abouti à la fin du parti unique – sont bien mal en point.
Car les opposants au régime Bouteflika estiment que la non-limitation des mandats présidentiels successifs revient à mettre un terme à l’alternance politique. Mohamed Benchicou, l’ancien directeur du journal Le Matin, suspendu par le pouvoir depuis 2004, est de ceux-là. Pour lui, "c’est un recul de 50 ans. En instituant le président à vie, Bouteflika vient de nous aligner sur les dictatures arabes".
Avec cette réforme constitutionnelle, l’Algérie rejoint en effet le groupe des chefs d’Etat africains qui se refusent à lâcher le pouvoir et le conservent en levant la limitation constitutionnelle du nombre de mandats présidentiels. Parmi eux figurent Zine El-Abidine Ben Ali (Tunisie), Idriss Déby Itno (Tchad), Paul Biya (Cameroun) ou encore Omar Bongo Odimba (Gabon).
Elu pour la première fois en 1999 puis réélu en 2004, Abdlaziz Bouteflika n’a jamais évoqué sa possible candidature à l’élection présidentielle prévue en avril 2009. Mais ses partisans l’y incitent et ses opposants ne doutent pas qu’il se représentera. A la voie référendaire, il a préféré la voie parlementaire, dont la majorité lui était acquise, pour faire passer sa réforme constitutionnelle. Et de fait, le Parlement a adopté le texte à main levée – et sans débat – par 500 voix pour, 21 contre et huit abstentions.
"Les Algériens sont désintéressés de la politique"
Malade et âgé de 71 ans, Abdelaziz Bouteflika n’avait sans doute pas envie de mener campagne pour un référendum, dont la participation des électeurs était loin d’être assurée. "Les Algériens sont totalement désintéressés par la politique, observe le journaliste algérien Farid Alilat. Ils sont convaincus que les responsables politiques ne sont pas là pour améliorer la qualité de la vie. Aux dernières élections législatives, il y a eu un taux record de 64% d’abstention. Et il s’agit là des chiffres officiels."
Mis à part les voix de l’opposition qui, à l’instar de Saïd Saadi du Rassemblement pour la culture et la démocratie ont dénoncé un "putsch constitutionnel", la rue algérienne n’a pas manifesté de réaction particulière à ce vote du parlement. "Pour les Algériens, ces histoires d’appareil sont lointaines, note Zyad Limam, directeur d’Afrique Magazine. Le président Bouteflika est une stabilité par défaut. On ne voit pas quel opposant pourrait le remplacer. Il y a quelque chose d’un peu fataliste chez les gens, davantage préoccupés par la situation économique du pays."
Pierre Vermeren, historien et spécialiste des sociétés maghrébines, va plus loin encore. Il estime ainsi que "l’Algérie est à la fin d’un processus". "C’est encore la génération de l’Indépendance qui est au pouvoir, poursuit-il. Avec cette réforme, le régime actuel gagne seulement cinq ans sur une évolution inéluctable."