
Berlin avait eu beau prévenir qu'il ne fallait pas s'attendre à une annonce fracassante, les conclusions du sommet franco-allemand déçoivent les marchés. Économiste à Hambourg, Jörg Hinze décrypte comment son pays aborde la crise de la zone euro.
Mardi, le président français Nicolas Sarkozy et la chancelière allemande Angela Merkel ont mis sur la table une série de propositions pour améliorer "la gouvernance économique européenne". Mais rien n’y fait : ce mercredi, les marchés ne semblent toujours pas satisfaits. En fin de matinée, les principales bourses européennes étaient effectivement une nouvelle fois en baisse.
Berlin avait pourtant prévenu dès lundi qu’il ne fallait pas s’attendre à des annonces importantes lors de la rencontre de mardi. Une mise en garde qui avait valu au gouvernement d’Angela Merkel des critiques concernant son faible empressement à prendre les mesures jugées nécessaires pour rassurer les marchés, comme l’adoption des controversées euro-obligations.
Reste que l’Allemagne a déjà beaucoup donné aux pays fragilisés de la zone euro, rappelle Jörg Hinze, économiste au Hamburgisches WeltWirtschaftsInstitut (Institut hambourgeois d’économie mondiale). À lui tout seul, le pays contribue, en effet, à plus de 20 % du montant des plans de sauvetage de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal. Point de vue allemand sur les dernières évolutions de la crise de la zone euro.
FRANCE 24 - Quel regard portez-vous sur les propositions formulées à l’issue du sommet franco-allemand qui s’est tenu mardi, à Paris ?
Jörg Hinze : Le principal problème, c'est que les conclusions qui ont été adoptées à cette occasion me semblent difficiles à mettre en œuvre. Prenons, par exemple, celle de la "règle d’or" du retour à l’équilibre budgétaire, inscrite dans la Constitution allemande depuis 2009. Je ne vois pas pourquoi des pays comme la Grèce ou le Portugal s’y plieraient sur une simple demande d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy. Par le passé, l'Union européenne n'a jamais réussi à leur imposer des mesures d'austérité. Il a fallu la pression croissante des marchés pour que ces États les prennent. Comme on a pu le constater, les marchés ne s’y sont pas trompés : ils ont pris les propositions formulées par le couple franco-allemand pour ce qu’elles sont, à savoir des déclarations d’intention.
Les autres idées avancées, comme la création d’un gouvernement économique européen ou une coordination budgétaire accrue entre les États de la zone euro, semblent préfigurer une sorte de fédéralisme budgétaire. Cela vous semble-t-il aller dans le bon sens ?
J. H. : Ce genre de fédéralisme ne peut fonctionner que s’il existe une harmonie fiscale. Jusqu’à présent, les pays les moins concurrentiels comme la Grèce ou le Portugal ont seulement cherché à avoir le même niveau de consommation que le reste de l'Europe. Ils ont longtemps profité des taux d’intérêt bas de la zone euro pour emprunter massivement et augmenter leur niveau de vie. Mais ils n’ont pas pris les mesures nécessaires pour freiner l’augmentation de leur dette si bien que, aujourd'hui, toute l'Europe en paie les pots cassés.
Pourquoi l’Allemagne est-elle si opposée aux euro-obligations ?
J.H. : Si le sommet franco-allemand avait proposé d'instaurer les euro-obligations, cela aurait probablement calmé les marchés… à court terme. En effet, ces titres émis au niveau européen reviennent à signer un chèque en blanc aux pays qui veulent s’endetter. Ils peuvent s’abriter derrière ces euro-obligations - qui bénéficieront de la même note que les économies européennes les plus solides, comme celles de l’Allemagne ou des Pays-Bas - pour dépenser. Mais plus il y aura d'États qui s’endetteront, moins il y en aura qui pourront garantir les euro-obligations. Et l’Allemagne ne peut pas supporter le système toute seule. Les euro-obligations doivent donc être assorties d'une contrainte : réduire les déficits. Sinon, elles s’écrouleront.
On a l’impression que vous appeler à une Europe économique construite sur le modèle allemand…
J.H. : L’Allemagne n’a pas vocation et ne cherche pas à exporter son modèle économique. Mais il se trouve que, sur les questions de maîtrise budgétaire, elle est en avance sur la plupart des autres pays de la zone euro. Et, comme ce sont des problèmes qui sont au cœur de la crise, les autres nations ont l’impression que Berlin cherche à imposer son approche économique...