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Enlisé dans la guerre, Israël est-il menacé par une pénurie de soldats ?
La radio de l’armée israélienne a annoncé, lundi, recruter des soldats à l'étranger pour combler 12 000 postes manquants. Un recours à "l’extérieur" qui révèle l'ampleur de la crise des effectifs, après 23 mois de guerre à Gaza.
Soldats de l'armée israélienne lors des funérailles du sergent Yuliy Faktor tué au combat dans la bande de Gaza, au cimetière militaire de Rishon LeZion, dans le centre d'Israël, le 16 juillet 2025. © Ahmad Gharabli - AFP

Recrutement à l’étranger, amnistie des réservistes déserteurs, pression sur les Juifs ultraorthodoxes… L’armée israélienne multiplie les tentatives d’augmenter ses effectifs alors que le gouvernement de Benjamin Netanyahu lui a donné l’ordre d’occuper la ville de Gaza d’ici le 7 octobre 2025.

L'armée israélienne a ainsi annoncé le recrutement de jeunes volontaires dans la diaspora, notamment Français et Américains, pour combler 12 000 soldats manquants, selon la radio de l'armée, lundi 18 août. Objectif   recruter 10 000 personnes, à raison de 600 à 700 par an dans un premier temps.

Cet appel intervient dans un contexte marqué par la montée des critiques internationales, tandis que plusieurs dirigeants israéliens sont accusés de crimes de guerre, de la destruction de Gaza, et de la mort de plus de 60 000 Palestiniens, dont une majorité de civils.

Guerre longue, nombreux déserteurs

Pour David Rigoulet-Roze, chercheur à l'Institut français d'analyse stratégique (IFAS) et spécialiste du Moyen-Orient, cet appel est symptomatique d'une érosion des ressources humaines dans les rangs des forces armées.

Le conflit qu'il mène à Gaza – depuis bientôt 23 mois – est le plus long de l'histoire israélienne. Un conflit meurtrier : près de 900 militaires sont morts à Gaza. 18 500 sont blessés ou souffrent de stress post-traumatique. Une cinquantaine d'entre eux se sont donné la mort.

Comment expliquer un tel désaveu au sein d'une société construite sur le modèle d'une "nation en armes" ? "On a tous participé, supporté l'effort de guerre au début", répond Guy Poran. "Mais cela fait très longtemps que cette guerre est devenue une guerre de revanche. Un fantasme messianique d'occupation de Gaza", poursuit l’ancien militaire.

"Une majorité d'Israéliens estime désormais que le conflit à Gaza n'est plus destiné à la sécurité d'Israël, mais suit un agenda plutôt politique", ajoute Guy Poran

"On repart à zéro" : une amnistie pour les déserteurs

La situation des troupes risque de se tendre plus encore avec la récente décision du Cabinet de sécurité d'occuper totalement la ville de Gaza, d'ici le 7 octobre 2025. Une telle opération va nécessiter de remobiliser près de 100 000 réservistes.

Formés au métier des armes, ces civils constituent des militaires à temps partiel, qui ont accepté d'aller au front lorsque des renforts sont jugés nécessaires. Beaucoup manquent à l'appel. Dans certaines unités, près de la moitié des réservistes se font porter pâle.

La Direction du personnel de Tsahal estime à 14 600 le nombre d'Israéliennes et Israéliens réfractaires à la conscription et déserteurs.

Tous encourent une peine de prison. Mais, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles : durant cinq jours, ces démissionnaires ont une "dernière chance de se faire enrôler sans risque de peine de prison". Nom de l'opération : "On repart à zéro".

Enlisé dans la guerre, Israël est-il menacé par une pénurie de soldats ?
Affiche de recrutement de l'armée israélienne diffusée sur les réseaux sociaux. En hébreu : La guerre fait rage et le besoin de sécurité s'intensifie ! As-tu été appelé par le passé au service militaire sans t'y présenter ? Tu veux réparer cela et servir, mais tu ne sais pas comment ? © Israel Defense Forces

"Si certains déserteurs démissionnent pour des raisons idéologiques, beaucoup rendent les armes par fatigue, pour des raisons financières, ou exhortés par leur famille, après des centaines de jours à combattre loin d'elle", note Guy Poran, depuis Tel Aviv.

Cet ancien pilote d'hélicoptère de Tsahal est devenu une figure emblématique du mouvement de contestation des réservistes.

Démoralisation du front

De nombreux militaires, y compris parmi les plus hauts gradés, ont été gagnés par le doute. Le chef d'état-major, Eyal Zamir, a qualifié le projet du Premier ministre Benjamin Netanyahu visant à occuper totalement Gaza-ville de "piège stratégique" pour otages et combattants.

Eyal Zamir a déclaré que les forces armées se préparaient toutefois à mener cette opération "de la meilleure manière possible". "Il aurait pu démissionner, mais a choisi de jouer le jeu", note Guy Poran.

Néanmoins, "pouvez-vous imaginer l'état d'esprit des militaires à qui on demande de risquer leur vie à Gaza-ville, pour opérer une mission désapprouvée par le chef d'état-major lui-même ? C'est une source de démoralisation énorme, et je m'attends à ce que le nombre de réservistes refusant de se présenter au service augmente."

"La démocratie israélienne est ainsi touchée par une corrosion malsaine du lien viscéral entre la nation et ses dirigeants actuels", abonde David Rigoulet-Roze, chercheur à l'IFAS.

Les ultraorthodoxes appelés à se battre

Le défi est, en effet, d’ordre sociétal. Depuis la création de l'État hébreu, les juifs ultraorthodoxes – 1 % de la population à l'époque, au moins 13 % aujourd'hui – bénéficient d'une exemption quasi générale du service militaire. Philosophie : leur permettre de s'adonner à l'étude des textes saints du judaïsme.

Les difficultés liées au monde post-7-Octobre ont braqué les projecteurs sur l'exemption de ces "privilégiés".

"Des étudiants de yeshivot – écoles religieuses – ont été photographiés en train de profiter de vacances à la montagne à l'étranger alors que des jeunes de leur génération étaient déployés sur le champ de bataille", notait le magazine d’analyse américain The Atlantic dans un article paru en mars 2024.

Sur fond de tensions et d'offensive à Gaza, la Cour suprême israélienne a ordonné en juin 2024 la conscription des étudiants ultraorthodoxes en écoles talmudiques. En vain, ou presque : seuls 2 % des 10 000 hommes ultraorthodoxes qui ont reçu leur ordre de conscription entre juillet 2024 et mars 2025 se sont effectivement enrôlés.

Pour le dire autrement, écrivait encore the Atlantic, "on recense aujourd'hui davantage d'Arabes israéliens servant dans Tsahal que de Juifs ultraorthodoxes".