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Du tag au meurtre : comment l'Iran attire des Israéliens dans des missions d'espionnage
Des dizaines de personnes comparaissent actuellement devant la justice en Israël, accusées d'avoir travaillé pour le compte de l'Iran et participé à des actes de vandalisme, voire à des complots d'assassinats. Selon les spécialistes, Téhéran est parvenu à les recruter en exploitant les failles et les divisions de la société israélienne.
Une Iranienne marche à côté d'une affiche représentant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, avec le texte "Le nazi allemand d'aujourd'hui" , dans le centre de Téhéran, le 11 août 2025. © Atta Kenare, AFP

Dans une salle d'audience bondée de Tel-Aviv, Vladislav Victorson, 31 ans, et sa partenaire Anya Bernstein, 19 ans, sont assis derrière une vitre, vêtus d'un uniforme de prison marron. À côté d'eux, des gardes les surveillent pendant qu'un enquêteur de police détaille un long acte d'accusation à leur encontre.

Le couple fait partie des dizaines d'habitants d'Israël, de tout âge et de toute confession, qui comparaissent actuellement devant la justice au motif qu'ils auraient aidé le régime de Téhéran en participant à des actes de vandalisme, voire à des complots d'assassinats.

Alors qu'en Israël, le Mossad – le service de renseignement extérieur israélien – est souvent salué pour avoir été capable d'infiltrer l'Iran en profondeur, y compris parmi le haut commandement militaire du pays, Israël découvre depuis plusieurs mois, l'existence, sur son propre territoire, d'espions pour le compte de l'ennemi au sein même de sa population.

Depuis les attaques du 7-Octobre et la guerre à Gaza, les arrestations pour espionnage se sont multipliées, propulsant semaine après semaine des dizaines d'individus devant les tribunaux. Selon les autorités israéliennes, Téhéran espèrerait ainsi attiser les divisions internes du pays et affaiblir sa sécurité intérieure.

Tags, voitures incendiées, assassinat…

Car si, dans la guerre de l'ombre entre les deux pays, le Mossad mise plutôt sur l'infiltration d'agents hautement qualifiés en Iran, Téhéran, lui, tente d'infiltrer les franges les plus ordinaires de la société.

À chaque fois, la méthode semble la même. Les recrues sont attirées sur les réseaux sociaux par des petites annonces obscures qui promettent des rétributions en cryptomonnaie.

Au départ, selon le journal américain The New York Times, les tâches confiées à Vladislav Victorson et d'Anya Bernstein étaient relativement anodines. Il s'agissait de peindre des graffitis avec des messages contre le gouvernement israélien, comparant, par exemple, le Premier ministre Benjamin Netanyahu à Hitler. Un travail rémunéré 600 dollars (515 euros) chacun.

Mais progressivement, leur employeur – qui sera plus tard identifié par les autorités israéliennes comme un agent iranien – est devenu plus exigeant. Le couple s'est vite vu chargé de saboter des boîtiers électriques avec de l'acide, d'incendier des véhicules ou encore de tester des explosifs de fortune fabriqués à partir de pétards et de bombes de laque. 

Puis est venue la dernière mission : assassiner un professeur israélien. En échange, on leur promettait 100 000 dollars de récompense, de rembourser totalement leurs dettes et de réinstaller le couple à l'étranger pour démarrer une nouvelle vie. Le couple est finalement arrêté peu après que Vladislav Victorson a annoncé à son contact avoir trouvé une solution pour se procurer un fusil de précision. 

Anya Bernstein est "une jeune fille malheureuse qui a été influencée", a plaidé son avocat Iaroslav Matz devant la cour, la dépeignant comme une adolescente naïve, persuadée de travailler pour des militants politiques et non pour des services de renseignement étrangers et assurant qu'elle n'était pas impliquée dans ce complot d'assassinat.  

De son côté, l'avocat de Vladislav Victorson a soutenu devant la cour qu'aucune preuve concrète ne liait l'employeur secret à l'Iran. Une défense rejetée en bloc par un policier lié à l'enquête.

Dans les franges les plus vulnérables de la société

Au total, dans l'année écoulée, le gouvernement israélien affirme avoir interpellé 40 individus pour des affaires similaires, en avoir résolu plus de 25 impliquant des recrutements sur internet et avoir déjoué des dizaines d'autres complots. 

Avec un schéma récurrent : les suspects semblent tous venir de tranches diverses de la société israélienne, avec des profils allant de l'adolescent au retraité, qu'il soit juif, laïc ou religieux, voire résident des colonies de Cisjordanie.

Pour Clément Therme, historien spécialiste de l’Iran contemporain et enseignant à l'université de Montpellier Paul-Valéry, Téhéran semble ainsi cibler son recrutement autour des couches les plus vulnérables de la société israélienne – "les Israéliens nés en Iran, les citoyens arabes, mais aussi toutes les personnes affichant des frustrations et du mécontentement" face à la politique du gouvernement de Benjamin Netanyahu, liste-t-il.

Téhéran adopte par ce biais une technique "d'entrisme", détaille le chercheur, qui consiste "à infiltrer des groupes pour amplifier les récits des divisions internes d'Israël" tout en exploitant les fractures sociétales.

L'ennemi peut donc se cacher plus ou moins partout. En avril dernier, "Moti" Maman, 72 ans, est condamné à dix ans de prison pour espionnage. Cet homme, déjà connu des services de police pour trafic de drogues, s'était rendu à deux reprises clandestinement en Iran depuis la Turquie. Selon la partie rendue publique de l’acte d’accusation, les services iraniens lui avaient demandé d’éliminer une personnalité politique israélienne. Mais en parallèle, un adolescent de 13 ans a, lui aussi, été condamné pour avoir effectué des tâches mineures pour le compte d'un contact anonyme rencontré en ligne. 

The Guardian relate quant à lui le cas d'un Israélien d’origine azérie engagé pour photographier des installations sensibles à travers le pays, notamment des installations militaires près du port d'Haïfa et de la base aérienne de Nevatim dans le Néguev, ou encore le quartier général des renseignements militaires de Glilot, au nord de Tel-Aviv. Des sites devenus les cibles de frappes lors de la guerre de douze jours qui a opposé Israël et l'Iran en juin 2025.

Du tag au meurtre : comment l'Iran attire des Israéliens dans des missions d'espionnage
Le citoyen israélien Moti Maman comparaît devant un tribunal après avoir été accusé d'avoir participé à un complot d'assassinat soutenu par l'Iran visant des personnalités, dont le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, le 19 septembre 2024. © Stringer, Reuters

Une guerre de l'ombre qui se joue en ligne

Cette guerre de l'ombre entre Iran et Israël n'est pas nouvelle. Elle dure en réalité depuis des décennies, rythmée par des assassinats et la participation à des conflits indirects. Mais à l'instar de ces campagnes de recrutement, elle se joue aussi de plus en plus en ligne.

"Le renseignement extraterritorial n'est pas nouveau", insiste Clément Therme. "L'Iran a 46 ans d'expérience en stratégie hybride, et investit dans le domaine cyber depuis les années 2000."

Plus précisément, la puissance de Téhéran dans le cyberespace s'est intensifiée après l'affaire Stuxnet, un virus informatique découvert en 2010, supposément développé par les États-Unis et Israël pour cibler le programme nucléaire iranien. Aujourd'hui, les experts classent l'Iran parmi les dix premières puissances mondiales dans le cyberespace – principalement dans des opérations offensives.

Et l'Iran ne se limite donc plus aux cibles gouvernementales israéliennes. "À travers les réseaux sociaux, Téhéran cible aussi des militants, des chercheurs, des diplomates, des analystes militaires – en fait, quiconque dans la communauté académique ou politique occidentale travaillant sur l'Iran", explique le spécialiste.

Téhéran n'a pas commenté les procès israéliens en cours, mais le gouvernement accuse régulièrement Israël de provoquer des incendies et des explosions sur son territoire. Depuis le conflit de juin, les tribunaux iraniens ont par ailleurs exécuté plusieurs personnes accusées d'espionnage pour Israël.

"Argent facile, coût lourd"

Pour faire face, Israël a lancé en juillet dernier une vaste campagne de sensibilisation publique, intitulée "Argent facile, coût lourd". À la radio comme sur les réseaux sociaux, des spots publicitaires montrent ainsi des hommes et des femmes ordinaires en train de manger avec leur famille ou des amis avant qu'un sous-titre n'apparaisse : "Pour 5 000 shekels (environ 1 500 dollars), cela vaut-il la peine de ruiner votre vie ?"

Quelques secondes après, les autorités expliquent que c'est à peu près ce que les personnes accusées d'espionnage ont reçu pour effectuer leurs missions pour le compte de l'Iran. Mais elles insistent : ceux qui ont accepté l'argent sont maintenant derrière les barreaux et risquent jusqu'à 15 ans de prison.

Considérés comme des "traîtres", les individus accusés d'espionnage encourent de lourdes condamnations, voire, en ces temps de guerre, la prison à vie. En attente de leur jugement, c'est ce que risque Vladislav Victorson et Anya Bernstein, inculpés pour vandalisme, incendie criminel et acte terroriste de complot pour meurtre.

Cet article a été adapté de l'anglais par Cyrielle Cabot. L'original est à retrouver ici.