
Inspiré de la série humoristique britannique "The Office", le feuilleton afghan "The Ministry" tourne en dérision les dirigeants politiques du pays. Une première en Afghanistan où la liberté d'expression demeure malmenée.
Au Royaume-Uni et aux États-Unis, la série humoristique à succès "The Office" brocarde les petits patrons incompétents et ringards. En Afghanistan, c'est la classe politique gangrenée par la corruption qui est ridiculisée dans "The Ministry", dont le premier des huit épisodes a été diffusé le 4 août sur la première chaîne privée afghane, Tolo.
"The Ministry", c’est le quotidien du "ministère des Ordures" dans le pays imaginaire de Hechland, qui signifie "le pays de rien" dans le dialecte dari. Daoulat, ministre des Ordures et personnage principal de la série, symbolise à lui seul l’incurie du système politique afghan. Incompétent et corrompu - mais pourtant terriblement sympathique -, Daoulat, incarné par l’acteur Abdul Qadr Farokh, brille par le népotisme dont il fait preuve. Du majordome jusqu’au conseiller personnel du ministre, tous les postes de son cabinet ont été confiés aux membres de sa famille, plus incapables les uns que les autres.
"Nos rôles sont assez proches de la réalité"
À la différence de "The Office" qui dépeçait le monde de l’entreprise, le "documenteur" (une fiction qui prend les traits de la réalité) "The Ministry" se veut une satire politique. "J’ai travaillé pendant 42 ans dans le gouvernement afghan, a déclaré l’un des acteurs de "The Ministry" au New York Times, dans son édition du 3 août. Et je peux vous affirmer que nos rôles sont assez proches de la réalité."
Dans la bande-annonce - déjà visionnée plus de 60 000 fois sur YouTube -, on y voit des officiels davantage occupés à se disputer une agrafeuse qu’à disserter sur les problèmes politiques du pays. On y découvre aussi des députés aux revendications bien plus personnelles que collectives : untel réclame une dizaine de véhicules blindés pour sa propre sécurité, un autre souhaite que Daoulat ferme les yeux sur son trafic de drogues, un troisième voudrait embaucher son frère et son cousin… Le décor au goût douteux et la qualité discutable de la réalisation n’enlèvent rien à la virulence du message.
Car au-delà de l’incompétence, la série épingle également la filouterie et la lâcheté des officiels afghans. Ainsi lorsque le président exige que Daoulat tienne une conférence de presse censée faire toute la lumière sur une sombre affaire de pot-de-vin à 5 millions d’euros, le ministre préfère se défiler. "Mais ça ne va pas ! Appelez le président, dites lui que je ne peux pas… Non attendez, dites-lui que je suis malade… Non, dites lui que je suis mentalement dérangé…", hurle-t-il à sa secrétaire.
Les sous-fifres, engagés sur profil familial, n’échappent pas non plus à la raillerie. Le "bodybuildé" garde du corps en charge de la sécurité du président, aussi grotesque que prétentieux, est mis KO par la secrétaire en un seul coup de poing. Un des gardiens de la sécurité - un autre cousin, âgé d’au moins 70 ans - s’endort quant à lui sur sa carabine au lieu de monter la garde. "Le favoritisme est non seulement un thème majeur de la série, c’est aussi celui le mieux compris par les Afghans, écrit le New York Times. La famille, presque toujours, prévaut sur le mérite."
Du côté de la production, on s’interroge sur les retombées du feuilleton. "On va voir si les Afghans sont ouverts à ce genre de comédie, a déclaré à Reuters le producteur Abazar Khayami de l'entreprise afghane Kaboora Productions. Aux États-Unis et en Europe, ils se moquent toujours de leur gouvernement mais ici on ne sait pas vraiment à quoi s'attendre."
Et pour cause, la télévision nationale et les radios afghanes, créées en 1974, ont toutes été fermées au lendemain de la prise de pouvoir des Taliban en 1996. Malgré la chute du régime islamiste en 2001 et la levée partielle de la censure, Reporters sans frontières (RSF) continue de classer l’Afghanistan dans les 30 premiers pays où la liberté d'expression est la plus atteinte.
"La série ne doit pas simplement faire rire"
Trudi Ann Tierney, une des productrices de Kaboora Production, espère que la série agira comme un électrochoc. "Nous voulons que le feuilleton mette l’accent sur les problèmes politiques que traversent actuellement le pays", a-t-elle déclaré à l’agence Reuters.
Un souhait que partage l’acteur principal. "La série ne doit pas simplement faire rire, elle doit également éveiller les consciences politiques, a confié Abdul Qadr Farokh au New York Times. Et dans un pays où peu de monde lit, la télévision tend à jouer un rôle prépondérant."
(Photo : le personnage de Daoulat, ministre des Ordures du Hechland)