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Quatre jours après le début des émeutes qui ont éclaté samedi soir à Londres avant de s'étendre à d'autres villes, les autorités peinent encore à maîtriser la situation. FRANCE 24 se penche sur les raisons de ces révoltes.

Magasins pillés, voitures brûlées, immeubles incendiés, affrontements entre jeunes et policiers… Depuis quatre jours, plusieurs grandes villes du Royaume-Uni - Londres, mais aussi Manchester, Liverpool, Birmingham, ou encore Gloucester - sont frappées par des violences urbaines d’une rare brutalité.

La police, déployée en effectifs renforcés depuis mardi dans les rues de Londres, estime que ces émeutes sont "les pires" que le Royaume-Uni ait connues "en trente ans". Près de 770 personnes ont été arrêtées, depuis samedi, par les forces de police.

"Ce ne sont pas les émeutes en tant que telles qui sont surprenantes, mais plutôt leur ampleur", estime Chris Greer, sociologue à l’Université de Londres. "Ces violences, parties de Tottenham [au nord de Londres, NDLR], se sont étendues à d’autres villes qui n’ont aucun lien les unes avec les autres. Un tel phénomène est symptomatique d’un grave problème de société."

Une crise de confiance entre les policiers et la population

Les premiers affrontements ont éclaté samedi dans la foulée d'une manifestation qui réclamait "justice" après la mort, le même jour, d'un homme de 29 ans, Mark Duggan, tué d'une balle dans la poitrine lors d'un échange de coups de feu avec les forces de l’ordre. Contrairement aux premiers rapports de police, une commission indépendante (IPCC), chargée de l'enquête, a indiqué mardi qu'il n'y avait "pas de preuve à ce stade" que Mark Duggan avait tiré en premier sur les forces de l'ordre.

Cette révélation a mis le feu aux poudres - les parents de la victime ont déclaré qu'ils avaient été traités de manière cavalière par la police - et renforcé l’animosité que voue une partie de la population à l’institution policière. "Ces émeutes sont autant l’aboutissement d’une mauvaise conduite des forces de l’ordre que d’un comportement inapproprié des délinquants", écrivait à ce propos un éditorialiste dans l’édition du quotidien britannique The Guardian, daté de mardi.

Selon Chris Greer, la police britannique traîne depuis une vingtaine d’années un lourd passif en matières de violences qui, au fil des années, s’est transformé en une crise de confiance de l'opinion publique. "Ces émeutes sont comparables à celles de Brixton en 1985, bien que les circonstances soient assez différentes [Des révoltes avaient éclaté dans cette ville au sud de Londres après le tir accidentel d'un policier sur une femme, d'origine jamaïquaine, NDLR]", estime-t-il.

"Ajoutez à cette liste, les cas Blair Peach – tué "volontairement" par un policier lors d’une manifestation antiraciste en 1979 -, Stephen Lawrence – poignardé en 1993 par un groupe de jeunes blancs et dont l’enquête bâclée avait conduit l'opinion publique à parler de "racisme institutionnalisé" - et Ian Tomlison - décédé après avoir été passé à tabac en 2009, lors des émeutes du G20, par un policier -, et la confiance de la population dans la police est ébranlée", explique encore le sociologue. Conclusion du chercheur : "C'est là le signe d'un ‘échec institutionnel’".

"Marginalisation économique"

Si certains journaux anglais attribuent à la politique d'austérité mise en place par le gouvernement la responsabilité de ce déchaînement d'agressivité, d’autres pointent du doigt une rébellion dont le but réside moins dans les revendications politiques que dans la recherche d'un enrichissement personnel. "Ce sont des émeutes pour le luxe et non pour la faim" a écrit à ce propos, ce mardi, un internaute sur le site du Guardian.

De nombreuses vidéos amateur qui circulent sur Internet montrent en effet des dizaines de jeunes émeutiers en train de dévaliser des magasins informatiques, des bijouteries et des boutiques de vêtements de sport comme Nike.

Pour Chris Greer, les raisons d'un tel comportement sont plus complexes : "Le pillage est surtout le symbole d’une marginalisation économique qui a commencé sous l’ère Thatcher et perdure aujourd’hui". Et le sociologue de poursuivre : "Ces émeutiers viennent des quartiers les plus pauvres où le chômage est massif, les perspectives d’avenir inexistantes. Ce sont des personnes exclues depuis toujours du système classique de consommation."

"Délinquants et voleurs" ?

Du côté des parlementaires, il n’aura pas fallu plus de quatre jours de révolte pour voir les camps travailliste et conservateur commencer leur bataille médiatique. La conservatrice Angie Bray a épinglé ce mardi l'ancien maire travailliste de Londres, Ken Livingstone, après que ce dernier a pointé du doigt la responsabilité du gouvernement Cameron et de son plan d’austérité budgétaire.

"Si vous réalisez des coupes budgétaires massives, il est évident que cela rend possible la révolte", avait alors déclaré le travailliste. Une opinion qui a fait sortir Angie Bray de ses gonds. "Prendre comme prétexte la réduction des dépenses publiques pour justifier la criminalité est inacceptable et irresponsable", avait-elle répondu. Pour la parlementaire conservatrice comme pour le Premier ministre David Cameron, ce déferlement de violence est l’œuvre de délinquants et les scènes de pillage ne sont que "criminalité pure et simple."

Une vision réductrice, selon Matthew Moran, professeur au département d’analyse des questions de sécurité au Kings College London. Ce dernier exhorte à la prudence pour ne pas tomber dans le cliché dangereux qui consiste à confondre ces jeunes révoltés avec des "délinquants et voleurs".

Le chercheur, qui a étudié les révoltes dans les banlieues françaises en 2005, insiste également sur les limites d'une comparaison entre ces émeutes et celles de Londres. Selon lui, chaque révolte est unique et motivée par des facteurs particuliers. La réponse en forme de tout-sécuritaire du Premier ministre Cameron est, de toute façon, inappropriée, selon ce chercheur. "Restaurer l’ordre est important. Mais envoyer la police régler ce conflit n’est pas une bonne solution sur le long terme", conclut-il.