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"Washington sera contraint de prendre des mesures brutales"

À la surprise générale, l’agence de notation Standard & Poor’s a abaissé ce week end la note souveraine des États-Unis de AAA à AA+. Quelles seront les conséquences d'une telle décision ? Réponse avec l'économiste Bernard Aybran.

Coup de tonnerre sur les États-Unis. Dans la nuit de vendredi à samedi, l’agence de notation Standard & Poor’s a dégradé la note souveraine américaine de "AAA" à "AA+", justifiant sa décision par le fait que le programme voté par le Congrès pour rééquilibrer les finances publiques est "insuffisant pour stabiliser la dette des États-Unis à moyen terme". Une première pour le pays, qui bénéficiait de la meilleure note possible depuis la création de S&P, en 1941...

La nouvelle n'a pas tardé à plonger la planète finance "dans l’inconnu", explique Bernard Aybran, spécialiste économique et directeur de Multigestion Invesco Asset Management, l'un des plus importants gestionnaires d'actifs mondiaux. Au regard de la place des États-Unis dans l'économie mondiale - le dollar étant la principale monnaie de réserve de change, il est considéré comme une valeur refuge -, l'abaissement de leur note pourrait en effet avoir des effets dévastateurs, selon l’expert. Décryptage.

La France menacée ?

Une dégradation de la note souveraine de la France aurait des conséquences catastrophiques sur l'ensemble de la zone euro, dont la stabilité est déjà menacée par une crise de la dette.

"Toutefois, il n'y a pas d'inquiétude à avoir à court et à moyen terme, explique Jean-Michel Six, économiste en chef à l'agence Standard & Poor's pour l'Europe. La note triple A de la dette souveraine française est stable", a-t-il déclaré dimanche au micro de la radio France Inter.

FRANCE 24 - Quel est le sens de l'abaissement de la note américaine ?

Bernard Aybran : Quand la note de la dette des États-Unis baisse, cela signifie qu'il y a un risque, pour leurs créanciers, de ne pas être remboursés. Ceux-ci vont donc leur appliquer un taux d'intérêt plus fort. La première conséquence en sera une augmentation du coût de la dette, car les États-Unis paieront plus cher leur endettement.

À l'inverse, plus la note d'un pays est élevée, plus le taux d’intérêt qui lui est appliqué est faible. Ainsi, si prêter de l’argent à un pays noté "AAA" ne comporte aucun risque, les investisseurs seront plus frileux à prêter de l’argent à une nation notée "AA +". Mais, pour Washington, le coup est d’autant plus dur que la note souveraine des États-Unis est assortie d’une perspective négative, ce qui signifie qu'à moyen terme S&P pourrait à nouveau baisser leur note.

Quelles conséquences aura la décision de S&P sur les ménages américains ?

B.A. : Les ménages américains ne seront pas épargnés à court terme. Si les taux d'intérêt appliqués aux États-Unis montent, une spirale de baisse de la consommation se met en marche : leur hausse entraîne, à son tour, une augmentation du coût du crédit. Or, la consommation des ménages américains repose essentiellement sur le crédit...

De plus, Washington devra rapidement faire des économies. Il n’est pas impossible que le gouvernement supprime, par exemple, le remboursement de certains frais médicaux, allège la présence de policiers dans les rues, ou supprime les bons d’alimentation dont dépendent quelque 40 millions d’Américains… Les États-Unis peuvent être contraints de prendre des mesures radicales brutales pour faire des économies.

Pourquoi la Chine est-elle dans l’embarras ?

B.A. : La Chine est le pays le plus ennuyé par la baisse de la note souveraine des États-Unis, car Pékin est le plus gros porteur d'obligations américaines. La Chine est le premier prêteur de Washington : elle détient quelque 1160 milliards de dollars en bons du Trésor.

Toutefois, la Chine est pieds et poings liés. Elle ne peut prendre le risque de vendre les bons du Trésor qu’elle possède, car une telle décision provoquerait un effondrement des cours et une panique des marchés avec des conséquences internationales dramatiques.

Quelles sont les conséquences, à moyen terme, de l'abaissement de la note américaine sur les économies européennes ?

B.A. : Il y a un risque d’effet domino. La perte du triple A par les États-Unis est susceptible de déstabiliser toute l’économie mondiale, qui fonctionne sur le principe de confiance. Si un pays comme les États-Unis n’est plus sûr, les autres pays peuvent paniquer. L’abaissement de leur note peut faire craindre la dégradation de la note d'autres pays.

En Italie et en Espagne, où les notes sont déjà dégradées ("A+" pour le premier, "AA" pour le second), les tensions montent. C’est un cercle vicieux. Plus les États-Unis vacillent, plus il y a un regain de défiance, et plus il y a un regain de défiance, plus les taux d’intérêt augmentent.