
Les Tunisiens de France ont jusqu'au 14 août prochain pour s’inscrire sur les listes électorales en vue du premier scrutin de l'ère post-Ben Ali. Devant le consulat tunisien de Paris, chacun tente de reprendre goût à la vie politique tunisienne.
Depuis le 11 juillet et jusqu'au 14 août, les quelque 600 000 Tunisiens de France sont appelés à venir s’inscrire sur les listes électorales. En ligne de mire : l’élection d’une Assemblée constituante qui sera chargée de forger les institutions de la Tunisie démocratique, le 23 octobre prochain. Après les 23 années de dictature de Zine el-Abidine Ben Ali, l’événement est, pour beaucoup, l’occasion de renouer avec la vie politique tunisienne.
Un acte politique
"C’est une grande première !", s’enthousiasme Farid, informaticien à Paris, qui patiente devant le Consulat tunisien, rue de Lübeck, dans le 16e arrondissement de Paris, en ce dimanche matin. Pendant toute la durée de la campagne d’inscription sur les listes électorales, ce bâtiment restera exceptionnellement ouvert les week-ends afin de permettre à un maximum de ressortissants tunisiens installés en France d’effectuer les démarches nécessaires à l'obtention d'un "reçu d'inscription".
Sa carte consulaire dans la main droite, un café dans la main gauche, Farid attend impatiemment de pouvoir "enfin" s’inscrire sur une liste "non truquée". "J’ai plus de 40 ans et je n’ai encore jamais été dans l’isoloir. Voter sous Ben Ali, c’était voter pour rien… enfin, pour lui !, plaisante-t-il. Même si tu ne te déplaçais pas, même si tu étais mort, on te faisait voter. C’était n’importe quoi."
Pour Farid comme pour de nombreux Tunisiens vivant dans la région parisienne qui patientent tranquillement sous le soleil parisien, participer à cette élection ne se limite pas à accomplir son devoir de citoyen. "L’enjeu est énorme, explique Lydia, une jeune étudiante en histoire venue s’inscrire en compagnie de son amie Lena. On veut, nous aussi, prendre part au façonnement de notre pays".
Une mobilisation encore faible
Il y a un an encore, ces deux étudiantes ne connaissaient rien à la vie politique tunisienne. Aujourd’hui, elles souhaitent militer dans un parti. "On ne connaît pas encore grand-chose aux différents mouvements mais, maintenant, les choses vont bouger. La Tunisie est engagée sur le chemin de la démocratie, nous ne reculerons plus ! Nous ne laisserons plus de dictateurs venir diriger nos vies."
S’il y a aujourd’hui foule aux portes de la représentation diplomatique tunisienne à Paris, tel n’a pas toujours été le cas, loin s’en faut... "Il y a eu un sursaut de mobilisation ces derniers jours. Les gens sont venus au dernier moment, car la clôture des inscriptions sur les listes électorales était initialement prévue le 2 août [face au faible nombre d’inscrits – 1,8 million d’électeurs seulement sur les 7,9 millions que compte potentiellement la Tunisie - le délai a été repoussé au 14 août, samedi soir, par Kamel Jendoubi, le président de l'instance chargée d’encadrer le scrutin, NDLR]. Je pense qu’ils ont pris conscience que leur voix était importante", explique l’un des bénévoles chargé de l’organisation des inscriptions à Paris.
"Sors de ton lit, va t’inscrire !"
Mina, une mère de famille qui attend elle aussi son "reçu d’inscription" en fumant cigarette sur cigarette, explique que "les Tunisiens ne doivent absolument pas manquer ce rendez-vous historique", car "cette élection est plus qu’un devoir, c’est une obligation !"
Une obligation qui, pour les plus jeunes, vire parfois même à la contrainte… Étudiant âgé d’une vingtaine d’années, Fouad se glisse dans la file d’attente qui se forme devant le consulat. Mais il se serait bien passé d’être là et avoue s’être déplacé sous la menace parentale. "Ma mère m’a mis une grosse pression. J’aurais préféré aller faire un foot avec des potes, mais elle m’a dit : ‘C’est un grand moment pour le peuple tunisien, alors sors de ton lit et va t’inscrire !’". "Tu ne te rends pas compte", lui rétorque une autre mère de famille accompagnée de ses deux enfants qui se trouve dans la file. "Aujourd’hui tu vas pouvoir voter et ta voix comptera vraiment."
"Avant, au Consulat, on ne disait pas un mot sur la politique"
Signe que les temps changent aussi, les langues se délient peu à peu. "Avant, quand vous veniez au consulat ou à l’ambassade, personne n’aurait osé parler de politique. Tout le monde redoutait les espions et les indics de Ben Ali… Aujourd’hui, au contraire, on plaisante et on commence même à parler des partis en lice. C’est vraiment la liberté !", lance Rachid, un homme d’une soixantaine d’années qui affirme avoir voté, même sous l’ère Ben Ali.
Sur le trottoir, les discussions politiques vont en effet bon train. "Quand on voit le nombre de nouveaux partis, on se dit qu’on ne s’y retrouvera jamais", s'amuse l’un des interlocuteurs. "Ne soyez pas pessimiste. On a le temps de s’intéresser aux différents partis, on a encore deux mois de réflexion", lui répond un autre. En attendant leur tour, certains spéculent sur l’avenir, redoutant la montée des islamistes ou craignant de ne pas se retrouver dans le nouveau paysage politique. "Quoi qu’il en soit, on parle… On parle enfin !", confie, ému, Rachid, son "reçu d’inscription" à la main.