L'écrivain d'origine hongroise Agota Kristof, connue pour ses textes emprunts d'inquiétude et d'humanité, s'est éteinte en Suisse. Elle est notamment l'auteur de la trilogie : "Le Grand Cahier", "L'Épreuve" et "Le Troisième Mensonge".
AFP - Elle aurait préféré "la prison (soviétique) plutôt que 20 ans d'usine en Suisse" et fit de l'écriture sa sombre "planche de salut": Agota Kristof, décédée mardi à 75 ans, était la digne héritière de Kafka, dit à l'AFP son éditeur français Bertrand Visage (Seuil).
Traduite dans une trentaine de langues, considérée comme une star au Japon mais peu médiatisée, l'écrivain d'origine hongroise, au pessimisme digne d'un Beckett ou d'un Thomas Bernhard, reste peu connue du grand public, telle une "énigme" au nom évoquant plutôt l'anagramme d'une auteure culte de romans policiers.
"Une langue d'un dénuement extrême", une auteure "insolite et dérangeante" dont l'écriture "n'avait rien d'un témoignage mais tout d'un conte monstrueux, celui d'une petite soeur de Kafka", explique l'éditeur qui a publié début 2011 l'oeuvre complète (romans, nouvelles, théâtre) d'Agota Kristof et s'entretenait "chaque semaine" avec elle.
"Pour la dimension métaphysique, fantastique de son écriture et sa vision prémonitoire des catastrophes qui guettent l'humanité. Pour sa solitude et son doute radical qui faisait qu'on ne pouvait l'enrôler dans aucune cause", ajoute-t-il.
"Elle riait de sa récente reconnaissance par les autorités de son pays natal car elle avait toujours été tenue à distance comme pouvait l'être chez nous un (Samuel) Beckett -qui n'a pas trouvé d'éditeur alors qu'il avait une oeuvre à peu près complète lui ayant valu par la suite le prix Nobel- ou en Autriche un Thomas Bernhard", poursuit M. Visage.
Agota Kristof vivait à Neuchâtel, en Suisse, où elle "ne côtoyait jamais les gens de lettres, qu'elle n'aimait pas, mais seulement ses voisins, des gens de tous les milieux, n'oubliant jamais qu'elle avait été ouvrière".
"Détachement vis-à-vis de son oeuvre"
"Elle est arrivée en Suisse en 1956 au moment de l'écrasement du soulèvement démocratique en Hongrie. Elle s'est enfuie avec son bébé dans les bras, son premier enfant, et son premier mari, un opposant au régime qui était menacé."
"Cet homme est mort il y a quelques mois. Elle m'a dit à ce moment-là qu'elle regrettait d'avoir choisi de quitter la Hongrie. Elle disait de façon brutale: +J'aurais préféré deux ans de prison à 20 ans d'usine+ (elle a travaillé 20 ans dans une usine d'horlogerie en Suisse, ndlr). Ces premières années de ce côté-ci du rideau de fer ont été très malheureuses", raconte encore l'éditeur.
Agota Kristof commence à écrire dans les années 60, "avec les rudiments de français qu'elle avait appris en Suisse", sa "planche de salut", selon lui.
A ses débuts, elle écrit des pièces de théâtre ("La clef de l'ascenseur et autres pièces", "Le monstre et autres pièces"): "Je les ai publiées à 10 ans d'intervalle. Agota me laissait corriger, elle avait une sorte de détachement vis-à-vis de son oeuvre", se souvient-il, disant "admirer" l'auteure "d'une modestie confondante", qui "ne cédait à aucun charme de nos sociétés de consommation" qu'elle trouvait "ennuyeuses".
Agota Kristof a cessé d'écrire, dit-il, "il y a une quinzaine d'années, par fatigue physique".
Parmi les hommages qui lui sont rendus, une blogueuse française, Stéphanie Joly, 32 ans, a créé un groupe sur Facebook invitant les passionnés à relire la trilogie romanesque d'Agota Kristof qu'elle a découverte lorsqu'elle avait 20 ans: "Le grand cahier", "L'épreuve" et "Le troisième mensonge", et à discuter de cette lecture sur la toile.
Un réalisateur hongrois, Janos Szasz, vient d'achever le tournage du "Grand cahier", un film réalisé en partie dans le village natal de l'auteure, Csikvand, près de la frontière autrichienne, qu'elle appelait "la petite ville de K" dans ses romans.