![John Boehner, un républicain bon teint contrarié par le Tea Party John Boehner, un républicain bon teint contrarié par le Tea Party](/data/posts/2022/07/16/1657974838_John-Boehner-un-republicain-bon-teint-contrarie-par-le-Tea-Party.jpg)
En portant le fer contre le président Obama dans la crise de la dette américaine, le président républicain de la Chambre des représentants John Boehner s'est affirmé, non sans compromis, comme le principal leader de son camp. Portrait.
En avril dernier, le président républicain de la Chambre des représentants, John Boehner, avait travaillé main dans la main avec le président américain Barack Obama pour parvenir, in extremis, à un accord sur les coupes budgétaires fédérales et éviter au passage la paralysie du gouvernement.
Mais aujourd’hui, le temps de la collaboration semble révolu. Le week-end dernier, Boehner a en effet rompu les négociations qu’il avait entamées avec Obama sur l’épineux problème de la dette américaine pour réapparaître, ce lundi, avec une proposition d’inspiration purement républicaine dont il savait pertinemment que la Maison Blanche ne voudrait pas.
L’engagement de Boehner dans le débat sur la crise de la dette américaine révèle les défis auxquels ce dernier est confronté en tant que figure de proue des républicains aux États-Unis. À savoir : jongler entre les aspirations de l’establishment traditionnel républicain – auquel il est intimement lié – et celles des nouvelles factions de son parti, dont le très conservateur Tea Party, qui a appelé à rejeter tous les projets de la présidence.
Dans le même temps, alors que l’élection présidentielle doit avoir lieu dans un peu plus d'un an, Boehner doit éviter de faire apparaître les républicains comme des opposants intransigeants. Une telle position risquerait de mettre en difficulté le candidat que son parti se choisira pour tenter de remplacer Barack Obama.
Si la tache qui l'attend s’annonce donc rude, force est de constater que celui-ci dispose de l’expérience nécessaire pour la mener à bien.
"Un législateur avisé"
Fumeur invétéré et golfeur passionné, Boehner a en effet la réputation d’être un habile négociateur, rompu aux manœuvres politiques. Ce républicain originaire de l’Ohio, qui a conduit son parti à la victoire à la Chambre des représentants lors des dernières élections de mi-mandat, est entré pour la première fois au Congrès en 1991.
Sept ans plus tard, celui-ci a obtenu la direction du Comité chargé de l’éducation à la chambre des représentants. Un poste où il a été amené à collaborer avec les démocrates - parmi lesquels l’ancien sénateur Ted Kennedy – et où il s’est illustré en faisant passer d’importantes réformes.
"Boehner est un législateur avisé, décrypte Thomas Mann, spécialiste politique au sein de la Brookings Institution. En cela, il se distingue de la plupart de ses collègues républicains qui sont guidés par l’idéologie et n’ont pas la capacité de soutenir des projets ou des arguments contraires à leurs idées."
Ménager l'aile radicale du parti de l'éléphant
La capacité de Boehner à accepter le compromis est caractéristique de la définition que donne le sénateur démocrate Barney Frank du conservateur traditionnel bon teint. Une culture politique qui risque de lui poser quelques problèmes à l’heure où il doit composer avec les élus républicains soutenus par le Tea Party qui ont intégré la Chambre des représentants en novembre dernier.
Toutefois, en habile politicien, Boehner fait tout pour ménager ses rapports avec la frange la plus radicale du parti de l'éléphant. Lors de ses récentes interventions, il a adopté un ton plus vigoureux, qualifiant par exemple la réforme du système américain de santé conduite par Barack Obama de "monstruosité". Devenu président de la Chambre des représentants, il a par ailleurs annoncé deux mesures chères aux membres du Tea Party : la fin du recours aux fonds spéciaux réservés au financement de certains projets par les élus républicains de l’institution d’une part ; la fin de l’utilisation d’avions militaires pour ses déplacements intérieurs d’autre part, comme le faisait son prédécesseur à ce poste, la démocrate Nancy Pelosi.
Dans ses discours, Boehner prend également le soin d’insister davantage sur son propre parcours, expliquant qu’il a fait carrière en s’appuyant sur le mythe du "self made man", une valeur chère au Tea Party. Né en 1949 à Cincinnati (Ohio), celui-ci a grandi dans un milieu modeste et catholique (ses parents étaient des "démocrates tendance Kennedy"). L'homme raconte souvent que, dans sa jeunesse, il a longtemps travaillé dans le bar de son père comme balayeur, ce qui lui aurait permis de développer des compétences qui se révèlent très utiles aujourd'hui : "Apprendre à composer avec le caractère de chaque personne qui passe la porte du bar".
Contraint de travailler pour financer ses études - il est le seul de sa famille à avoir décroché un diplôme -, Boehner a d'abord fait du gardiennage avant d'intégrer une entreprise spécialisée dans le plastique dont il a gravi les échelons jusqu’à en occuper la présidence.
Un militantisme qui remonte aux années 1980
À trente ans, il épouse Debbie Gunlack, une secrétaire qui lui a donné deux filles, et gagne déjà 74 000 dollars par an... Celui-ci raconte que ce sont les impôts exorbitants que l’État prélevait alors sur son salaire qui l’ont poussé dans les bras du libéralisme, puis à prendre sa carte chez les républicains et à en porter les couleurs dans l’Ohio lors des élections locales de 1984.
Vingt-six ans plus tard, Boehner est plus puissant que jamais. Mais, devenu le symbole de son parti, il s'en trouve plus vulnérable aussi. Fin avril, un sondage mené par Gallup a montré, en effet, que sa cote de popularité avait chuté de 42 % à 34 % en quatre mois.
Au mois de juillet, une série d'enquêtes a en outre démontré que les Américains imputaient la crise de la dette aux républicains, plus qu’à l’administration Obama. Pour certains analystes, Boehner "paie ainsi l’addition" d'avoir suivi le Tea Party dans sa croisade contre le plan de l’administration Obama.
En définitive, qu'il parvienne ou non à faire adopter son plan de réduction de la dette par la Chambre des représentants, John Boehner pourrait voir son image ressortir sévèrement écornée de la bataille qu'il livre actuellement à Barack Obama, estime Thomas Mann. "Qui va sortir indemne de cette lutte imprudente et désastreuse : les États-Unis et l’économie mondiale, ou l’image de leader de Boehner ?", s’interroge ainsi le spécialiste, avant d'embrayer : "Ni l'un, ni l'autre. L'un des deux paiera forcément les pots cassés."